La Chronique du Prof

Par Bernard Vachon

Dans sa chronique du 5 février dernier, Michel Vachon soulevait, à partir d’une expérience vécue, des interrogations sur l’application de la Loi sur la protection du territoire agricole, loi dite du « zonage agricole ». Questions des plus pertinentes auxquelles des modifications à la loi pourraient apporter des réponses et apaiser un débat qui perdure depuis trop longtemps. Promises en juin dernier par le ministre François Gendron lors du lancement de la Politique de souveraineté alimentaire, ces modifications se font toujours attendre. Voici quelques éléments généraux de la situation.

Sous la pression des développeurs et des autorités municipales en périphérie des grands centres urbains des basses terres du Saint-Laurent, de vastes superficies de bonnes terres agricoles sont « dézonées » pour fin de développement urbain. Ainsi, de 2007 à 2009, dans la seule Communauté métropolitaine de Montréal, la zone agricole a perdu 826 hectares (l’équivalent de 1543 terrains de football), alors qu’environ 21 000 hectares en zone blanche, inexploités, étaient disponibles pour la croissance urbaine. À la Communauté métropolitaine de Québec, ce sont 1027 hectares de sa zone agricole qui ont été sacrifiés. Dans les deux cas, ces ponctions dans la zone agricole se font au cœur des meilleures terres agricoles du Québec.

Dans son rapport pour l’exercice 2002-2003 déposé le 6 novembre 2003 à l’Assemblée nationale, le président de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ), M. Bernard Ouimet, déclarait : « Nous estimons que des ajustements s’imposent pour préserver la crédibilité de la loi, la légitimité et la cohérence de son application. Face aux enjeux qui se dessinent dans les agglomérations urbaines du Québec, particulièrement dans la grande région de Montréal, il nous apparaît plus important que jamais qu’un signal rigoureux et cohérent soit donné à l’égard de la pérennité de la zone agricole. »

En dehors de la vallée du Saint-Laurent et de ses vallées secondaires, la situation est souvent tout autre : ici, la zone agricole désignée se compose de plusieurs sols pauvres désertés par les agriculteurs dans des municipalités dont plusieurs sont aux prises avec des problématiques de dévitalisation. La question de la protection des terres se pose différemment, ce qui fait dire à Bernard Ouimet dans son rapport : « Là où la diversité des usages dans les secteurs dévitalisés des zones agricoles est nécessaire pour assurer la survie de plusieurs régions, nous croyons que la législation même doit traduire cette réalité dans les moyens confiés à la Commission pour mieux en tenir compte. » Pour traiter adéquatement les deux types de situations aux caractéristiques opposées, des ajustements à la loi s’avèrent impératifs.

La qualité d’une loi, telle celle de la Protection du territoire agricole, ne tient pas tant dans l’ampleur et la rigueur de ses interdits que dans la finesse de son application et sa capacité à prendre en compte les particularités locales, dans la perspective d’une vision de société aux objectifs différenciés selon les lieux et les conditions de développement. « Planning is for people » dit un grand principe d’aménagement du territoire.

Si les terres à haut potentiel agricole de la plaine du Saint-Laurent et de ses vallées secondaires ont besoin d’une protection renforcée, plusieurs secteurs de la zone agricole à faible potentiel et délaissés par l’agriculture, notamment sur les plateaux laurentien et appalachien, attendent une attitude d’ouverture autorisant d’autres fonctions de nature à injecter une diversification d’activités porteuses d’une nouvelle vitalité locale et régionale. Ce que réclame notamment la coalition Solidarité rurale du Québec et la Politique nationale de la ruralité.

Le renforcement de la protection des terres agricoles en périphérie des grands centres de la vallée du Saint-Laurent ne pourra se faire sans un consensus social et une volonté politique forte de densifier, voire de verticaliser davantage les aires urbaines. C’est à ce prix que les bonnes terres agricoles du Québec pourront être sauvegardées.

Un autre aspect de la loi qui mérite d’être revu est le principe doctrinaire du maintien des unités de production dans leurs dimensions présentes. Cet interdit absolu de subdiviser les terres empêche la création de fermes de petite et moyenne tailles qui se prêteraient mieux à d’autres modèles de gestion et de production, tout en contribuant efficacement à l’effort de souveraineté alimentaire que promeut la nouvelle politique du ministre François Gendron (MAPAQ).

Ainsi, des dispositions spécifiques introduites dans la loi verraient au maintien et à l’essor de la petite et moyenne agriculture, riche en emplois, productrice d’une alimentation de qualité, propice à l’innovation au développement de nouvelles productions, tournée vers les marchés de proximité et créatrice de nouveaux projets d’installation de jeunes (dans l’esprit des recommandations du rapport Pronovost, 2008). Un volet complémentaire en quelque sorte à l’agriculture industrielle qui prône le libre échangisme mondial, dont les pratiques constituent bien souvent des menaces à l’environnement, et la forte mécanisation un appauvrissement des communautés locales par la perte d’emplois.

La production agricole ne peut avoir le modèle industriel pour seule référence alors que la demande sociale, du point de vue alimentaire et écologique, suppose des conditions pour lesquelles d’autres modèles sont mieux adaptés.

Une telle vision de la pratique agricole sera ouverte à la multifonctionnalité sur les fermes ainsi qu’à la cohabitation de fonctions diverses dans une perspective de développement territorial polyvalent, particulièrement en secteurs agricoles défavorisés.

Enfin, on verra à harmoniser la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles avec la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, tout en donnant davantage de prérogatives aux MRC dans l’application de la première. Un tel processus d’harmonisation s’avérera aussi nécessaire entre ces deux lois sectorielles d’aménagement et la nouvelle Loi-cadre d’occupation et de vitalité des territoires et la Politique nationale de la ruralité.