« T’es malade, partir à la campagne ». C’est un peu en ces termes encourageants qu’a été reçue notre décision de quitter Montréal.

C’était en juin 1981, alors que ma belle gaspésienne s’apprêtait à donner naissance à notre première fille.  Nous vivions jusque-là en appartement en face du stade olympique. Il est vrai que les conditions qui prévalaient à cette époque ne militaient pas trop en faveur d’une telle décision. Nous travaillions tous les deux à Montréal, nous habitions près du métro et nous n’étions pas très solides financièrement. Certains se rappelleront que les taux hypothécaires en vigueur culminaient aux alentours de 17-18%. Oui, vous avez bien lu, 18%. Malgré tout, il n’était pas question d’accueillir notre premier enfant au troisième étage d’un immeuble à logements.

Je pourrais prétendre que c’est l’appel à la vie rurale qui nous motivait mais je dois bien humblement vous avouer que ce sont principalement des considérations financières qui guidèrent nos recherches. Après avoir successivement éliminé Montréal, Beloeil, Ste-Julie et Repentigny notre choix s’est finalement arrêté sur St-Sulpice.

Un petit bungalow, entrée split, sur un terrain 60’x100’; outre son prix, l’attrait principal de cette maison c’est qu’elle était adossée à une immense terre en culture de céréales et donc sous la loi de la protection du territoire agricole. Conséquemment, nous n’aurions pour voisin arrière que la beauté des épis dansant au gré du vent en été, le doux parfum des céréales fraîchement moissonnées à l’automne et un magnifique paysage blanc en hiver.

De notre point de vue c’étaient là des raisons amplement suffisantes¹ pour justifier tous les sacrifices que nous allions devoir faire. Les années passèrent, et en 1985 une deuxième petite fille vint embellir notre famille. C’est aussi à peu près à cette époque que nous vivons une grande désillusion. Un certain matin de printemps, avant de quitter pour le travail, on se rend compte que d’énormes bulldozers sont apparus dans le décor derrière chez nous. Sans le savoir on comprend que les choses vont radicalement changer. En s’informant à gauche et à droite on apprend que la terre a été dézonée (sic) et qu’un important développement domiciliaire est en chantier.

Comment cela est-il possible? C’est la question que nous nous posions à ce moment et c’est la question que nous posons toujours aujourd’hui puisqu’il n’y a jamais eu de réponse. Il y a aussi cette autre question? Comment se fait-il que de grands pans de notre territoire agricole, parmi les plus riches (basses terres du St-Laurent, île de Laval) finissent par tomber dans les mains de promoteurs de tout acabit dont le seul but est de faire pousser des centres commerciaux, des maisons, des autoroutes et des terrains de golf? Ou encore, comment se fait-il que d’un côté on dilapide si facilement notre plus riche patrimoine agricole et qu’en régions, souvent sur d’immenses territoires ingrats à l’agriculture, on refuse catégoriquement des utilisations autrement plus productives? Y aurait-il, là aussi, matière pour la commission Charbonneau??? Suis-je simplement cynique si je dis, comme nos amis anglophones : « money talks ».

N’y a-t-il pas là matière à réflexion pour quiconque vit de la terre ou pour tous ceux et celles qui rêvent de s’investir dans les régions et villages dépeuplés de notre Belle Province?

Malgré notre amertume du moment et un développement, somme toute, limité nous avons fait de St-Sulpice notre point d’ancrage et nous y sommes toujours, savourant tout ce que notre environnement villageois continue à offrir.

¹ En fait, il y avait beaucoup plus ça; j’y reviendrai dans une prochaine chronique.