Par Sophie Dowse

Je ne suis pas morte.

La fois où j’étais fatiguée après une heure de jardinage;

La fois où la pompe qui mène l’eau du puits aux tuyaux a pété, en plein mois de février;

La fois où j’ai pilé dans un nid de tâons, en me promenant en petites sandales dans le lot à bois derrière chez moi;

La fois où ma maison fut envahie, littéralement, de moustiques, parce que je n’avais pas vu le jour béant sur le contour d’une de mes fenêtres;

La fois où un rat est entré dans ma petite demeure mal insonorisée, que je l’ai entendu grimper et gratter dans les murs pendant deux nuits, avant que le piège ait finalement raison de lui;

La fois où une perdrix est venue se cogner dans une fenêtre, s’est assommée puis est morte quelques minutes plus tard, sous mes yeux;

La fois où j’ai tranché la gorge d’une dinde, et que je revoyais en boucle dans ma tête, toute la semaine durant, son petit cou sanguignolant, son petit corps en spasmes violents, avant son dernier souffle;

La fois où il fallait ouvrir et nettoyer le tuyau d’égoût parce que quand on flushait, ça se vidait dans le sous-sol ;

La fois où mon chien, qui a une définition d’un petit snack très différente de vous et moi, a vomit, oui, du caca de cochon ; gris, puant, collant, partout dans mon auto, fraîchement nettoyée;

La fois où j’ai pris le clos en glissant sur des lames de neige et qu’en moins de 5 min, 3 passants s’étaient arrêtés pour voir si j’avais besoin d’aide;

La fois où, suite à une rupture extrêmement difficile, je n’ai pu cacher ma peine en allant chez mon garagiste, et plutôt que de devoir mourir de honte, j’ai eu droit à un sincère élan de soutien de la part des personnes qui se trouvaient là;

Toutes ces fois, et bien d’autres, je ne suis pas morte.

Par contre, j’ai appris. Tant de choses. Que je romançais ce qui est une vie difficile. Que j’utilisais ça pour me bâtir du capital social, parfois consciemment, parfois aussi naivement que le personnage du poète dans la Bête Lumineuse de Pierre Perrault. Que mes voisins m’acceptaient pareil. Que je n’étais vraiment pas aussi travaillante que je ne le pensais. Que la nature est à la fois généreuse, et sans pitié face à nos priorités. Que le contact avec la nature et les animaux, ça rend plus réaliste, plus patient. Plus compréhensif face aux épreuves de la vie et à la vieillesse. Que la solidarité existe encore, l’humilité aussi. Qu’il y a des êtres humains conservateurs et pragmatiques qui écoutent les conseils des arbres quand leur vie va mal. Que tout ce que la nature a à nous apprendre, chanté par les Thoreau, Emerson et Berry de ce monde, peut sembler fleur bleue ou n’avoir simplement aucun sens quand notre vie a comme seul tempo le rythme des villes. Ça devient réel quand on est dedans. Notre confort nous a rendu si fragile. Pourtant, aller vers ce qui nous effraie, nous incommode est rarement vain. L’essentiel de nous-même se trouve aussi là où ça pue, ça pique et ça fait peur.

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