(Prenez note que tous les échanges qui suivent se sont déroulés en anglais)

Moi:   Bonjour Kevin, je t’ai trouvé un super stage.

À cette étape, je ne tiens pas à lui révéler immédiatement l’endroit. Je crains des problèmes. Je me dois d’user de stratégie dans mon approche. C’est que le Kevin¹ en question est, comme la grande majorité de mes étudiants à McGill, un jeune anglo du West Island pour qui le Québec, c’est Montréal. Je ne porte pas de jugement, je ne fais que constater. Je poursuis donc mon approche furtive.

Moi: Tu sais qu’il s’agit de ton 2e stage et qu’il est primordial que tu maîtrises les aspects purement techniques de l’exploitation minière souterraine. L’employeur est impressionné de l’expérience acquise à ton 1er stage. Il s’agit d’une mine d’or où on utilise les équipements et les méthodes les plus modernes. C’est le jackpot.

Kevin: Ç’a l’air intéressant, c’est où?

Moi: Ah pis j’ai oublié de te dire que c’est super bien payé, $25,00/h.

Kevin:  Wow! C’tu au BC ?

Moi: Pis c’est pas tout, il y a un mineur qui accepte de te voyager matin et soir durant les quatre mois de ton stage. T’es vraiment chanceux.

Kevin: Ah oui! C’est sûrement le stage à Sudbury que vous avez affiché la semaine passée. C’est sûr que ça m’intéresse?

Moi: Et maintenant la cerise sur le sundae : il y a une allocation au logement en plus.

Kevin: Dans ces conditions, que ce soit n’importe où, c’est sûr que j’accepte. C’est où?

Moi:  Bonne décision Kevin, c’est à Malartic en Abitibi.

Kevin: What? Malaaartick in Qwebeck? No fuc?#@ng way.

Voilà, ce que je craignais était arrivé. C’est la fin de la session et les offres de stage pour la période estivale se font rares. Je me suis engagé auprès de l’employeur lequel a fait son choix; c’est lui ou personne. Connaissant bien Kevin, je demeure tout de même convaincu qu’il est « l’homme de la situation ».

Ce qu’il faut comprendre c’est que pour ce jeune anglophone, malgré le fait qu’il s’exprime  bien en français, s’en aller vivre en Abitibi, même temporairement, c’était comme l’inuit de Kuujjuarapik lâché « lousse » dans le quartier des spectacles de Montréal durant le festival de jazz. Être ainsi plongé dans un milieu culturellement éloigné du sien, il se voyait soudainement sans repère, et tout probablement sous l’influence de sombres clichés et préjugés.

Je vous épargne les échanges qui suivirent mais finalement, après en avoir discuté avec ses parents et soupesé les pour et les contre, Kevin accepta d’aller à Malartic. Sans entrer dans les détails, il était primordial pour le bien du programme, du département et de moi-même que ce stage soit un succès. Ainsi, au cours des semaines qui suivirent, j’entrai en contact régulièrement avec les responsables de la mine lesquels m’assuraient de leur grande satisfaction. J’étais content mais je demeurais sur mes gardes.

C’est maintenant la fin août, tous les étudiants sont de retour de stage et entreprendront dans quelques jours la session d’automne.

Moi:  Hi Kevin!

(Prenez note que tous les échanges qui suivent se sont déroulés en français)

Kevin: Bonjour M. Vachon, comment allez-vous?

Moi: Je vais bien merci mais toi, comment ça s’est passé?, en omettant sciemment le lieu.

Kevin: Tout ce que vous me disiez avant mon départ s’est révélé vrai. J’ai passé le plus bel été de ma vie. J’ai amélioré mon français, je me suis fait de bons amis, on m’a invité à faire partie de l’équipe de soccer de la mine, j’ai appris énormément, on m’a offert un autre stage plus tard, on m’a même laissé entendre qu’il y aurait un poste d’ingénieur pour moi à ma graduation. Les abitibiens sont tellement gentils… les abitibiennes aussi.

Il n’y avait rien à rajouter, j’avais parfaitement compris.

Ce fut là le point de départ d’une longue et fructueuse lignée d’embauches de mes stagiaires dans toutes les régions minières du Québec.

¹ Prénom fictif