Mon dernier séjour au Témiscamingue m’a appris quelque chose de crucial dans ma vie d’adulte et dans le phénomène si espéré du retour des jeunes en région. Le coin de pays qui m’a vue grandir n’en a toujours pas fini avec moi faut croire, même après 15 ans d’absence!
J’y retournais pour quelques visites annuelles où j’ouvrais à peine les yeux, de peur de constater que rien n’ait changé et que je ne m’y sente toujours pas à ma place, comme l’adolescente que j’étais.
Bon. Quel-le adolescent-e ne ne se sent pas à sa place un jour au un autre, peu importe l’endroit où il grandit? Aucun je crois, ce doit être un sentiment qui vient avec la poussée des hormones! Personnellement, je garde peu de souvenirs positifs de cette période de ma vie qui a été ponctuée par l’intimidation. Le hic ici, c’est que moi, j’ai associé la région à tous mes malheurs, comme si elle était un terrain miné par le négativisme et la méchanceté. À 16 ans, je n’étais pas en mesure de faire la part de choses. Devenue adulte, l’arrière-goût demeurait toujours bien présent.
Il aura donc fallu 15 ans, plein de visites annuelles, mille textes sur le sujet et une invitation de blogueur pour renverser la vapeur. Pour me réconcilier totalement avec elle. Ce n’est pas rien.
Alors que je travaille maintenant à développer les régions du Québec et qu’on me parle depuis 10 ans du retour des jeunes en région, je me dis: mais comment faire pour éviter que d’autres adolescents vivent la même chose?
L’attachement ou le détachement
On s’entend que tous les ados veulent aller découvrir le monde qui les entourent à un moment où un autre et que c’est parfait ainsi. Ils quitteront, ils iront vivre une tonne d’expériences nouvelles et ils apprendront leur métier en même temps qu’ils apprendront à se connaitre eux-mêmes. Mais comment faire ensuite pour les ramener vers leurs régions natales (en moins de 15 ans si possible…), c’est la question que se pose toutes les régions du Québec? Et si la réponse à cette question se trouvait plutôt dans le moment présent plutôt que dans le futur? Je m’explique.
Un ancien collègue à moi m’a déjà dit: “Je suis revenu dans ma région parce que j’ai eu du fun ici quand j’étais jeune et que je voulais continuer à avoir du fun dans la vie.”
Oui, à la première lecture, ça semble plutôt banal comme réponse, mais détrompez-vous. Lui, il a eu du fun et il est revenu. Je vous rappelle que moi, je n’ai pas eu de fun et j’ai fui.
Voyez-vous tout ce qu’on échappait depuis si longtemps?
Dites-moi qui a, dans sa Stratégie d’attraction et de retour des jeunes en région, des mesures concrètes pour que les jeunes vivent des expériences positives en région PENDANT qu’ils y sont? Qui?
Plusieurs ont des activités de sensibilisation, des ateliers de choix de carrière en cohérence avec les besoins du marché du travail ou encore des méthodes de suivis serrés dès qu’ils quittent l’école secondaire. Plusieurs ont aussi des incitatifs incroyables pour les ramener une fois partis, comme des programmes financiers d’accès à la propriété, sans parler du fabuleux programme de Place aux jeunes qui les amène sans frais visiter les régions et rencontrer les employeurs! Certaines municipalités ont aussi des politiques familiales qui proposent des infrastructures et activités pour cette catégorie d’âge, mais sont-elles reliées aux objectifs démographiques?
Il faut travailler sur l’équation région = fun pendant que les jeunes vivent la réalité régionale. Pas après.
Parce qu’à vrai dire, le Témis aurait pu venir me chercher en calèche conduite par un Avenger (n’importe lequel sérieux je les aime tous!) avec un panier de produits locaux sans calories à déguster sur la route et m’offrir une maison payée sur le bord du lac Témiscamingue avec un spa avec wi-fi intégré + une job à l’année que je n’en aurais pas voulu…
Alors parfois, chercher des incitatifs financiers et vanter les beaux paysages… ça ne marche juste pas. Il manque un travail important en amont.
Par ailleurs, s’occuper du fun et du bonheur des adolescents, ce n’est pas d’organiser des partys tous les soirs. Quoique des fois, oui, c’est une bonne idée 🙂 Mais c’est plutôt leur démontrer que l’univers des possibles se trouve devant eux, que leur milieu de vie est dynamique et positif, qu’ils sont compris et aimés comme ils sont peu importe leurs intérêts et qu’on a besoin d’eux pour construire ensemble demain. Par exemple, il serait possible de:
- proposer des instances où les adolescents sont écoutés et consultés
- développer des lieux et des activités de rencontres
- soutenir le milieu scolaire dans leurs offres de loisirs et d’activités parascolaires
- assurer les liens intergénérationnels et la transmission du savoir
- développer très tôt des liens entre employeurs et étudiants pour des emplois et des stages
- lutter contre l’intimidation et la discrimination partout, tout le temps
- instaurer une culture sociale d’inclusion et d’ouverture aux autres
- sensibiliser les parents aux discours qu’ils portent sur les régions
Pis oui, il va certainement falloir brancher toutes les régions du Québec comme du monde pour les satisfaire, ça fait partie des essentiels de cette génération.
La réconciliation
Le processus de reprogrammation de mon cerveau qui associait le Témiscamingue à un champ de guerre a débuté il y a quelques années avec mon chum qui, n’ayant jamais mis les pieds dans ce patelin, était ébahi devant sa beauté. Il voulait s’arrêter à chaque kilomètre pour regarder ou prendre des photos!!! J’ai roulé les yeux quelques fois, par habitude, mais aussi parce qu’il nous retardait beaucoup… 🙂 Mais un moment donné, j’ai vu ce qu’il voyait et maintenant, j’insiste aussi pour ralentir et regarder.
La maison de mon père (qui est à vendre en passant, vous me pardonnerez cette petite plug!) a aussi contribué à redorer mon image du Témiscamingue. Cette maison est si parfaite et si parfaitement située qu’elle constitue un havre de paix, été comme hiver, beau temps mauvais temps. Il n’y a pas de guerre là, je vous l’assure! Elle vaut toute la route parcourue pour s’y réfugier!
Dans mon dernier séjour, j’ai rencontré des gens formidables qui me ressemblent, ce qui m’avait cruellement fait défaut pendant que j’étais jeune. Ils ont déminé le terrain sur un moyen temps! Grâce à eux, j’ai découvert un Témiscamingue qui malgré le temps passé, était plus jeune que jamais. J’ai réalisé pour la première fois (et je trouve ça triste d’écrire première fois, mais c’est la vérité) que je pouvais y être moi-même et que ce milieu de vie pouvait être un lieu d’accomplissement personnel et professionnel. J’ai rencontré des gens aussi passionnés que moi par les médias et les Internets! Artistes dans l’âme, positifs de chez positif, motivés par la qualité du milieu de vie et toujours prêts à l’aventure, on dirait presque que nous avons été élevés ensemble! 😉
Ne me demandez pas quand je m’y installerai de nouveau par contre, on ne déménage pas une famille heureuse et établie en milieu rural sur un coup de tête. Si la vie me réserve des surprises tant mieux, mais de loin ou de proche, une partie de moi sera toujours au Témis.
Mais si j’écris ce texte aujourd’hui, c’est pour nos ados actuels qui ont besoin de nous tous. Certains reviendront, d’autres pas, rien ne suit une trajectoire fixe rectiligne. Il y a mille et une raisons qui motivent les choix d’établissement. Mais si ce texte peut mettre de la lumière sur un angle mort, tant mieux.
Si vous êtes parents, enseignants, directeurs, employeurs, intervenants sociaux, élus, grands-parents, résidents, alouette, qu’est-ce que vous pouvez faire aujourd’hui pour les ados que vous côtoyez? Qu’est-ce que vous pouvez faire maintenant pour qu’ils conservent dans leur coeur une image positive et réaliste de leur région?
Il est facile en fin d’article de ressortir la bonne vieille phrase: il faut tout un village pour élever nos enfants, car collectivement, nous pouvons contribuer à leur bonheur dans leur patelin d’origine.