Citoyens et citoyennes de Montréal, Québec, Laval, Trois-Rivières, Sherbrooke, Drummondville… vous savez désormais que vous êtes tous ruraux. C’est ce que vous ont appris les mots poétiques de Fred Pellerin, mercredi le 23 mai lors de l’événement soulignant la relance du mouvement Solidarité rurale, tenu à Beauport. Vous êtes ruraux parce que vous consommez les fraises de l’Île-d’Orléans, le maïs de Neuville, le fromage de St-Raymond, les crevettes de la Côte-Nord, les homards de la Gaspésie, les confitures de Ste-Marcelline-de-Kildare, le vin de Dunham, le cidre de Rougement, la bière de St-Casimir; aussi parce que vous fréquentez les auberges de Charlevoix, vous skiez sur les pentes du Mont-Ste-Anne, vous chinez dans les boutiques d’antiquaires de Magog, Bromont et Sutton, vous aimez la douceur des savons au lait de chèvre de Port-au-Persil, vous possédez un chalet à Val-David, vous vous pâmez devant les couchers de soleil de Trois-Pistoles, vous appréciez le silence et la nature authentique de la campagne.
Interdépendance et complémentarité ville-campagne
Demain, on peut imaginer que l’Union des municipalités du Québec, cette association qui réunit les villes de chez-nous, créera un événement analogue sous le thème « Tous urbains ». Urbains parce que c’est dans les villes que nous allons au cégep et à l’université, fréquentons les centres d’achat, les IKEA, Costco et autres Smart centers, assistons à des concerts et grands événements sportifs, admirons les expositions des artistes de renom, côtoyons les forces progressistes de la civilisation, baignons dans l’effervescence du monde des affaires, achetons nos voitures et prenons l’avion pour le soleil des Antilles.
S’il y a une chose que l’espace que nous occupons nous enseigne, c’est l’interdépendance et la complémentarité des villes et des campagnes. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas de distinction entre ces deux versants de notre société, que les deux mondes sont fondus l’un dans l’autre, ou que la ville est l’expression accomplie de la modernité alors que la campagne serait en attente d’urbanisation. Il y a proximité et compénétration des deux entités, et danger que la ville contamine la campagne par ses modèles d’urbanisme et d’architecture, et par sa culture. Mais au Québec le domaine rural est, Dieu merci, encore une réalité et un potentiel d’avenir passablement bien conservés dans la plupart des régions.
Une ruralité plurielle qui réclame son rattachement au Québec moderne
N’en déplaise aux esprits nostalgiques, la ruralité d’aujourd’hui, et plus encore celle de demain, ne correspond plus à la campagne des années 40 et 50. Elle ne projette plus l’image d’Épinal d’une ruralité agricole et artisanale homogène à laquelle on associe encore trop souvent le monde rural. La ruralité d’aujourd’hui est plurielle, c’est-à-dire diversifiée dans ses composantes et sa dynamique; elle aspire à une modernité pleinement assumée, mais dans un mode et des formes différents de ce que propose la grande ville.
Ce qui caractérise la ruralité actuelle et la distingue des milieux métropolitains, c’est d’abord l’espace : un espace ouvert, à faible densité d’occupation, une mosaïque de champs, de forêts, de lacs et de rivières, ponctuée de fermes, de petites villes et de villages. Quant aux activités qu’on y exerce, la multifonctionnalité s’est imposée. Ainsi, cohabitent l’agriculture, l’activité commerciale, les fonctions résidentielle, de villégiature, récréative, institutionnelle et de transformation. La ruralité d’aujourd’hui se définit moins par les activités qu’on y exerce que par la façon d’occuper (d’habiter) le territoire. Cette multifonctionnalité croissante des espaces ruraux pose le défi de la cohabitation harmonieuse entre les différentes fonctions et l’usage des sols.
Mutation économique et sociale et puissant désir de campagne
Historiquement, l’urbanisation est associée à la révolution industrielle qui recherchait les économies de proximité. Les travailleurs et leurs familles qui avaient à leur disposition des moyens limités de déplacement se regroupaient autour des lieux de travail. Avec la généralisation de l’automobile au début des années 50 les frontières de la cité ont reculé, ce qui a donné naissance aux banlieues. Depuis la fin des années 80, du fait de progrès vertigineux, les technologies de l’information et des communications s’implantent dans tous les secteurs de l’économie et des relations sociales, générant une nouvelle révolution, dite numérique, aux conséquences tout aussi variées qu’imprévues. Parmi celles-ci, le rapport de l’activité économique avec le territoire, et conséquemment avec les travailleurs et les familles. Plusieurs secteurs d’activités économiques se dématérialisent, chamboulant les logiques de localisation et les modèles traditionnels d’occupation de l’espace. Ces activités économiques dématérialisées, dont le nombre est en croissance, ne requièrent plus la concentration pour exercer et rentabiliser leurs opérations. Elles sont dites « foot loose » (sans attache territoriale). Théoriquement, elles peuvent s’implanter n’importe où, mais pas à n’importe quelles conditions (infrastructures, services, main-d’œuvre, formation…)
Cette libération de la contrainte territoriale pour de nombreuses entreprises, conjuguée à la quête d’une meilleure qualité de vie chez les travailleurs et les familles, crée les conditions d’un exode urbain vers les régions, leurs petites villes et villages et territoires ruraux. C’est une tendance de fond déjà bien amorcée dans plusieurs pays et dont on reconnaît les avantages pour la reconquête et la recomposition des régions et l’équilibre des territoires.
Et si l’attrait des régions était l’avenir des métropoles
La ruralité c’est le contrepoids aux agglomérations métropolitaines. C’est désormais l’alternative réaliste pour plusieurs entreprises et familles. Pour les élus et gestionnaires des grandes villes, l’attractivité reconquise des régions et de leurs petites villes et villages signifie une diminution de la pression de la croissance économique et démographique sur l’aménagement du territoire, les services à offrir et la qualité de vie. Il devient désormais possible d’aborder plus sereinement la gestion des problèmes inhérents à la croissance urbaine : congestion routière, pollution sous diverses formes, pauvreté, insécurité, coût de l’habitation et des espaces de travail, îlots de chaleur, etc.
Pour l’État, un virage déterminé est vigoureux est à entreprendre afin que s’accomplisse cette révolution des territoires : doter les régions des infrastructures, équipements et services publiques, dont internet haute vitesse et téléphonie mobile, pour accroître l’attractivité et la compétitivité économique des milieux de vie hors des grands centres, répondant ainsi aux besoins et attentes d’un nombre croissant d’entreprises et de familles.