On a souvent de la ruralité l’image d’un monde en déclin. Pourtant, à une poussière statistique près, nous n’avons jamais été aussi nombreux au Québec. Nous sommes aujourd’hui un peu plus de 1 500 000 à avoir choisi la vie en campagne. Mais, et, voilà un premier beau paradoxe, nous n’avons jamais été si peu, proportionnellement parlant. Nous, les ruraux, sommes 19% des Québécois. Un sur cinq. Un sur cinq, c’est la part des Québécois qui ignorait qui dirigeait le Canada en août dernier, c’est la part de ceux qui estimaient qu’il fallait fermer la porte aux réfugiés syriens, c’est aussi la part de la population qui est analphabète. Un sur cinq, c’est juste assez pour être remarqué, pour déranger, pas assez pour être considéré sérieusement.
Allons-y sur un autre paradoxe. Nous n’avons jamais été si connectés physiquement au monde. Il n’y a pas si longtemps sur l’échelle du temps, ma belle-mère quittait son village de Saint-Lucien au Centre-du-Québec et arrivait à Saint-Stanislas au prix de cinq heures de route, d’attentes, d’une traversée et de quelques sueurs froides. Un trajet qui prend aujourd’hui une heure et demi. Parce que les routes vont presque partout et qu’à peu près tout le monde a sa voiture.
Mais, et voilà l’autre paradoxe, nous n’avons jamais été aussi isolés. Parce que disons-le franchement, l’humain est ainsi fait; si on ne parle pas de nous, si on ne fait pas attention à nous, nous n’existons pas. Exister, cela réfère aussi à cette notion fondamentale d’être pour l’autre. Vous pensez que ça n’a pas tant d’importance que ça? Bien. Imaginez un monde amnésique où on vous ignore, où vos tentatives pour converser avec d’autres se soldent par un échec, où les gens restent de marbres à vos appels. Voilà. Vous y êtes. Vous me suivez maintenant? Dans l’imaginaire collectif, la reconnaissance de l’autre, c’est ce qui fait la différence entre le mort et le vivant. Ce n’est pas banal. Et ce qui vaut individuellement, vaut collectivement aussi. Fin de la parenthèse.
Passons donc sur le fait qu’Internet et le service de téléphonie cellulaire, au contraire de nos routes, ne se rendent pas partout, coupant quelques-uns d’entre nous du monde présent et à venir. Le véritable isolement des ruraux vient du silence. Celui des grands médias nationaux sur ce que nous sommes, comme en rendait compte le président d’Influence communication récemment.
Selon l’étude qu’il a menée, les régions ont perdu 88% de leur poids média en 15 ans. Oui, 88%. Nous n’existons pour ainsi dire plus pour l’urbain. Loin des yeux, loin du cœur. L’urbain ne nous voit plus dans son journal, dans sa télé. On pourrait discuter longuement de l’image qu’il entrevoit quand il nous voit, mais ça, c’est une autre histoire…
Restons donc sur l’existence collective des ruraux. Il y a un autre constat important à faire ; elle s’amenuise de jour en jour dans nos régions également. Le fait est que nous avons de moins en moins de miroirs dans lesquels nous regarder, pour voir ce qu’on a de beau – surtout ce qui est beau – remarquer nos petits défauts et au final, nous reconnaître. Je n’ai pas les données rurales/urbaines, mais globalement, le Québec comptait l’année dernière 168 hebdos, comparativement à 207 en 1993. Bon, quelques-uns continuent sous une forme numérique, mais globalement, il y près de 40 hebdos en moins. Il faut ajouter à cela l’affaiblissement des autres médias, radios et télés, déjà franchement pas très gras, qui se voient couper au compte-goutte un poste de journaliste ici, une émission là. Sans les contenus provenant des sites de nouvelles, Facebook et Twitter ne sont que des relayeurs de bruits ambiants, de rumeurs et de publicités cachées. Moi aussi j’aime bien rigoler en regardant une vidéo de chats de temps à autre, mais le rôle des médias, du plus petit au plus grand, reste essentiel dans la construction de notre identité collective. Nous sommes autre chose que l’addition de toutes nos individualités.
Bref, des initiatives comme celles de néorurale.ca ne sont pas un luxe. Elles nous font exister un peu plus. On a prédit notre mort souvent.
C’était mal nous connaître. Justement.