La littérature scientifique et nombre de publications gouvernementales qui traitent
de l’évolution des milieux ruraux, tant au Québec qu’à l’étranger, développent
avec abondance le thème de « l’urbanisation des campagnes ». Pour qualifier ce
qui est décrit comme un phénomène en croissance, les expressions suivantes sont
souvent utilisées : « rurbanisation », « urbanité rurale », « accroissement des taux
d’urbanisation ». On associe ainsi la transformation des espaces ruraux à un processus
d’urbanisation.
Sur cette question, des précisions s’imposent. On confond souvent modernité avec
urbanité. Or, ces deux réalités ne sont pas forcément synonymes : la ville n’est pas
le seul lieu de la modernité. Bien que différentes manifestations de l’urbanisation se
retrouvent en terres rurales, il importe de distinguer ce qui relève de la modernisation des
campagnes et ce qui est du domaine de l’urbanisation.
On lira fréquemment : « À la campagne, on vit aujourd’hui comme à la ville », « On
partage les mêmes valeurs de consommation », « On a le même rythme de vie », « On
réclame les mêmes services », « On exerce les mêmes activités », etc. Ces réalités
témoignent, en soi, plus d’une évolution des sociétés rurales et de leur adhésion à la
modernité qu’à un processus d’urbanisation proprement dit. Et cette évolution vers plus
de modernité ne saurait être regrettée ou condamnée. Au nom de quels principes, de
quelles valeurs les milieux ruraux devraient-ils restés en retard des progrès de la société
globale ?
L’enjeu actuel des campagnes n’est donc pas de rester à l’écart de la modernité, mais de
défendre la spécificité rurale fondamentale contre l’importation d’une traduction urbaine
de la modernité. Comme nous l’avons vu dans des chroniques précédentes, la campagne
est convoitée et réoccupée. Il y a un « puissant désir de campagne ». Cette attractivité
reconquise s’exerce non seulement auprès de familles et de travailleurs, souvent issus de
milieux urbains, qui font le choix réfléchi de s’établir en milieu rural, mais aussi auprès
d’entreprises qui trouvent aujourd’hui leur compte dans une implantation rurale, pour des
raisons non seulement économiques et financières, mais sociales et environnementales.
Cette reconquête des milieux ruraux se traduit par une demande pour de nouveaux
lotissements, des infrastructures, des équipements, des services, des habitations, des
bâtiments commerciaux, industriels, récréatifs, culturels, etc. Ici se présente la menace
de l’urbanisation des campagnes, c’est-à-dire le transfert d’un mode d’occupation
et d’organisation de l’espace qui correspond au paysage de la ville. Il s’agit de la
colonisation urbaine des campagnes. Face à ce danger, le défi en est un d’aménagement
du territoire et d’architecture. La dilution de l’identité rurale dans les poussées du modèle
urbain n’est pas une fatalité.
Certes, il ne s’agit pas d’enferrer la campagne dans des concepts et façons de faire
d’un autre âge qui ne sauraient répondre aux valeurs, aux activités et à la mobilité de
notre époque; mais plutôt d’accueillir et d’accompagner le dynamisme démographique,
économique et social des nouvelles ruralités dans le cadre d’approches urbanistiques qui
se soucient de la sauvegarde et de la mise en valeur des caractéristiques fondamentales de
la ruralité.
Il faut reconnaître que ces approches sont largement à élaborer, à promouvoir
et à mettre en application. Le temps est venu d’entreprendre le chantier d’une
pratique « urbanistique » qui prenne en compte la spécificité rurale et que s’élabore
une école distincte d’aménagement et de développement rural : une école distincte
d’aménagement et de développement rural qui reconnaisse aussi l’interdépendance
et la complémentarité de la ville et de la campagne pour produire une mosaïque de
l’occupation du territoire dont les unités constituantes sont dans une relation d’égalité
et d’équilibre du centre vers la périphérie. Les facultés de géographie, d’aménagement,
d’urbanisme et d’architecture sont sollicitées à collaborer à ce projet qui devient un
devoir.
Le rêve et l’utopie sont à la source de la création et de l’innovation, principaux moteurs
des progrès de société.





Merci Bernard, très bon texte. Au plaisir de te lire.
Yolande lepine