Ce texte esquisse une approche pour une politique de développement régional fondée sur la force et le rayonnement de deux communautés métropolitaines, Montréal et Québec, pôles incontestables d’attraction démographique et de production économique, et le dynamisme d’un réseau de bassins de vie et d’activité constitués de noyaux urbains et de couronnes rurales[1] dans une relation d’interdépendance et de complémentarité, les 87 MRC[2].
Une telle approche suppose la reconnaissance, de la part de l’État central, du rôle et de la contribution des régions intermédiaires et périphériques au développement et à la prospérité de la société québécoise toute entière, et une volonté de leur offrir les moyens appropriés pour une occupation et une vitalité de leurs territoires.
On a dépouillé de coffre à outils du développement régional
Petit rappel. En 1997, le gouvernement (PQ) adoptait un Programme de soutien au développement local et régional qui a donné naissance au réseau des CLD. En décembre 2001, la Politique nationale de la ruralité était adoptée (renouvelée en 2007 et 2014). En janvier 2008, l’Assemblée nationale donnait son aval au Plan d’action gouvernemental à l’intention des municipalités dévitalisées Au printemps 2012, le gouvernement libéral de Jean Charest adoptait la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires en appui à la Stratégie gouvernementale du même nom.
Or, le Québec des régions vit un sentiment d’abandon depuis l’abolition des CRÉ et des CLD, la mise au rancart de la Politique nationale de la ruralité et du Pacte rural, le retrait du financement de Solidarité rurale, la fermeture des bureaux régionaux du ministère de l’éducation, les compressions de budgets dédiés à des organismes et programmes de développement (ex. Programme de création d’emplois en forêt), l’abolition des Forums jeunesse régionaux, la centralisation des services sociaux et de santé, etc.
Le coffre à outils du développement régional, dépouillé depuis novembre dernier par les mesures d’austérité adoptées par le gouvernement Couillard, traduit-il un virage historique quant au soutien de l’État aux régions par rapport aux centres métropolitains ?
Ces coupures au détriment des régions alors que le gouvernement fait preuve d’une écoute et d’une ouverture généreuse aux revendications de Montréal et de Québec, laisse craindre une accentuation de la fracture entre métropoles et périphérie plutôt qu’une atténuation des disparités régionales. Avec les conséquences sociales et économiques qui en découleraient. Est-ce là le scénario que le ministre des Affaires municipales et de l’occupation du territoire (aussi responsable des régions et de la ruralité), Pierre Moreau, est à élaborer avec l’aval du premier ministre et du conseil des ministres ?
Corriger d’urgence le déficit de vision et d’appui accordés aux régions
Face à cette dérive de la conception du Québec habité de demain issue d’une désolante méconnaissance du rôle et des mécanismes actuels de développement des régions, de leurs villes petites et moyennes et de leurs espaces ruraux, des efforts doivent se conjuguer pour réunir la connaissance du champ régional, l’expertise de terrain et la volonté des collectivités locales afin de démontrer la vraie réalité des régions. Soient des territoires qui n’ont pas les mêmes attributs que les zones métropolitaines certes, mais qui recèlent de richesses naturelles, sociales, culturelles, environnementales et patrimoniales qui participent à l’identité, au dynamisme et à la diversité de la société québécoise. Beaucoup a été accompli mais il faut poursuivre l’œuvre de bâtir l’argumentaire en faveur des régions. Un Québec limité à deux pôles de croissance serait cruellement appauvri et bien triste.
Dans la démarche d’analyse et d’appréhension des régions, sachons déceler les contributions que ces territoires procurent à l’épanouissement de l’ensemble du Québec actuel et le potentiel immense qu’ils recèlent pour l’avenir. Ce potentiel ne se limite pas aux richesses naturelles, mais englobe les aptitudes que possèdent les régions pour la planification d’une occupation équilibrée et dynamique du territoire habité, pour plus d’égalité et un meilleur vivre-ensemble.
Les évolutions économiques, sociales, culturelles et technologiques des 20 dernières années et toujours en cours, permettent désormais d’envisager de façon réaliste une réoccupation et une recomposition des espaces non métropolitains bien inscrites dans la modernité. Mais encore faut-il reconnaître, stimuler et accompagner adéquatement l’expression de ces aptitudes, ce qui est le propre de toute politique de développement régional.
Une telle politique mettrait l’accent sur la territorialisation de l’action publique pour une prise en compte des spécificités locales et régionales à travers une démarche partenariale avec les instances élues et les représentants de la société civile des milieux.
Le ministre des Affaires municipales et de l’occupation du territoire, Pierre Moreau, promet une « nouvelle gouvernance régionale ». Qu’en sera-t-il exactement? Il faut de la vision, de la hauteur, de l’audace, à la mesure des défis que posent l’occupation et le développement de la mosaïque territoriale du Québec face aux enjeux démographiques, économiques et environnementaux des prochaines décennies. À la mesure aussi du rôle que les régions sont appelées à jouer dans l’organisation de la société, la distribution de la population et des activités de production d’une économie postindustrielle, la prévention de l’hyperurbanisation et de ses dysfonctionnements, la lutte aux gaz à effet de serre, le développement durable, etc.
On ne saurait se satisfaire d’une politique perpétuant le statu quo qui aurait pour premier effet d’accentuer la fracture entre les pôles métropolitains et les territoires intermédiaires et périphériques. Ni d’une politique inspirée d’une philosophie d’espérance, fondée sur la réalisation de petits projets, plus ou moins durables, visant à faire patienter les attentes et les revendications des communautés.
Une véritable politique de développement régional doit être l’affirmation et la réponse vigoureuse d’une volonté d’État d’occuper de façon décisive, viable et durable son territoire. Ce qui ne peut se limiter à un ensemble de mesures palliatives sporadiques à des territoires dont on admettrait comme inexorables leurs conditions de marginalisation, de déclin, d’exclusion et, à terme, d’extinction. Ce qui signifierait faire le deuil du rétablissement d’un dynamisme durable possible hors des grandes agglomérations urbaines, et ainsi souscrire à la fatalité d’au déclin annoncé des régions ? Dans un sursaut d’humanité, la politique régionale s’affairerait alors à programmer et à accompagner les étapes conduisant à l’extinction ! Nous croyons à un autre scénario possible.
Les MRC comme bassins de vie et d’activité
Les MRC ont été créées au début des années 80 dans la perspective de réunir villes et campagnes dans des espaces d’interdépendance et de complémentarité où s’exerce une vie économique et sociale à l’échelle de proximité. Pour favoriser leur plein épanouissement, le législateur avait prévu leur attribuer un nombre croissant de compétences, accompagnées des ressources humaines, financières et techniques correspondantes. Les MRC étaient perçues comme les « lieux privilégiés » pour accueillir la décentralisation des pouvoirs, notamment en matière d’aménagement, de développement et de « services de proximité ».
Dotées des compétences et des ressources appropriées, les MRC devenaient des territoires de projet, c’est-à-dire des espaces de forte autonomie ayant pour mission de développer leur dynamisme démographique, économique et social. Des programmes ciblés à l’échelle nationale et régionale leur seraient offerts en support aux initiatives locales.
Un territoire de projet se définit comme l’espace physique, économique et social sur lequel un projet de territoire s’élabore. Il se caractérise par une cohésion géographique, économique, sociale et culturelle. C’est un espace d’action collective qui réunit des municipalités, des organismes socioprofessionnels, des entreprises, des associations… autour d’un projet commun de développement. C’est un niveau privilégié de dialogue, de planification et de partenariat qui facilite la coordination des actions du milieu avec la région et l’État en faveur du développement d’un bassin de vie et d’activité jouissant d’une autonomie de proximité.
C’est ainsi qu’on peut affirmer qu’il n’y a pas de territoires sans avenir, qu’il n’y a que des territoires sans projets conçus et portés par les acteurs qui les habitent. Ce qui soulève la question de la mise en capacité des territoires en termes d’attractivité et de compétitivité liées à l’innovation et aux investissements publics pour répondre aux attentes des ménages et des entreprises.
À la différence d’autres territoires administratifs, politiques ou économiques, la particularité des MRC réside dans la notion de projet d’aménagement et de développement (ce qui était implicitement envisagé lors de la création des MRC).
Le projet de territoire est déterminé par le réseau d’acteurs capables de travailler ensemble à un projet global pour la collectivité. La participation de la société civile, et de manière générale des habitants, aux décisions qui les concernent, est primordiale dans une démarche de projet.
Articulé aux grandes orientations gouvernementales d’aménagement et de développement, le projet de territoire fera éventuellement l’objet d’une contractualisation avec les autorités nationales et régionales dans le cadre de programmes d’aide à la mise en œuvre du plan d’action et des projets sectoriels qui s’y rattachent.
La MRC comme bassin de vie et d’activité correspond à une échelle appropriée pour planifier et promouvoir l’économie productive (notamment dans le cadre des PME) et l’économie résidentielle (ou présentielle)[3]. La région aura des compétences relatives à certains créneaux de spécialité et d’excellence, et à des services et équipements publics qui outrepassent les missions et ressources des MRC.
Donner un nouvel élan aux efforts de développement des territoires
Tous les efforts consentis depuis le début des années 80 dans le cadre des structures institutionnelles mises en place tant par le gouvernement canadien (Sociétés d’aide au développement des collectivités – SADC et Centres d’aide aux entreprises – CAE), que par celui du Québec (MRC, Centres locaux de développement – CLD, Centre locaux d’emploi – CLE, Programme d’aide au développement local et régional, Carrefours Jeunesse-Emploi, Politique nationale de la ruralité, Stratégie gouvernementale et Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, Plan d’action gouvernemental à l’intention des municipalités dévitalisées, etc.), œuvrant chacune à l’échelle du bassin de vie et d’activité que constitue la MRC, vont dans ce sens, que venaient compléter par leurs missions de planification et de concertation auprès des MRC les Conférences régionales des élus – CRÉ (abolies depuis novembre 2014).
La MRC, territoire d’aménagement, de développement et de projet, ne doit-elle pas considérer la réunion de ses municipalités constituantes comme une mosaïque d’espaces plus ou moins spécialisés où seront orientées –dans le cadre du schéma d’aménagement et de la stratégie de développement– les fonctions économique, sociale, culturelle et résidentielle selon divers critères et objectifs répondant à une rationalité de développement territorial ? Les aptitudes et capacités, courantes et anticipées, de chaque municipalité relatives à l’économie, conjuguées à la nécessité de satisfaire les besoins et attentes des populations locales, guideront les décisions d’aménagement susceptibles d’orienter le développement vers telles municipalités locales plutôt que telles autres.
À travers cette approche supramunicipale, chaque municipalité se voit attribuer une vocation à forte prédominance résidentielle, récréotouristique ou de villégiature, complémentaire ou non à une économie de production locale, tout en ayant accès à des emplois disponibles ailleurs sur le territoire de la MRC ou dans la région. Sans compter les emplois exercés à distance grâce aux TIC (télétravail).
Ces bassins de vie et d’activité disposent de réels leviers pour instaurer de manière démocratique un équilibre entre économie, environnement et développement social. La participation citoyenne y est normalement fortement encouragée.
Deux régions métropolitaines et une nébuleuse de bassins de vie et d’activité
Face aux évolutions des dernières décennies qui engendrent des processus de transformation tels la mondialisation des marchés, l’urbanisation accélérée, la mobilité accrue des personnes, des biens, des informations et des systèmes de production, la dématérialisation de vastes pans de l’économie, les pressions sur l’environnement, la montée de nouvelles valeurs, l’attractivité reconquise des milieux ruraux, les nouvelles organisations du travail, etc., les modèles de développement des territoires qui ont prévalus jusqu’à maintenant sont ébranlés et les conditions pour de nouvelles formes d’organisation de l’espace sont progressivement réunies.
Le champ de connaissance de la science territoriale met en lumière les nouvelles réalités ainsi que les logiques actualisées des choix de lieux d’installation des familles et des entreprises. Les régions, leurs villes petites et moyennes et leurs territoires ruraux, deviennent des lieux alternatifs de vie, de travail et de production aux métropoles, et à ce titre requièrent désormais une attention accrue des pouvoirs publics quant l’organisation et l’équipement de leurs espaces.
Dans ce contexte, l’État et les collectivités feront preuve de prospective et d’innovation en matière d’aménagement et de développement du territoire, osant une géographie volontaire des territoires habités qui corresponde aux réalités contemporaines tout en répondant aux impératifs du développement durable.
Il faut se réjouir des évolutions et des transformations économiques et sociales qui permettent un desserrement des métropoles au profit d’une réappropriation et d’une recomposition des régions et des espaces ruraux. Une occupation plus équilibrée du territoire peut ainsi être envisagée ouvrant de nouvelles avenues à la conciliation de l’occupation du territoire et du développement durable.
C’est dans cette perspective que le modèle de deux régions métropolitaines et d’une nébuleuse de bassins de vie et d’activité dotés d’un haut niveau d’autonomie de proximité, gravitant autour de villes de centralité et conçus dans le respect des principes du développement durable, apparait un scénario possible et souhaitable pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux de notre temps et de ceux à venir.
[1] Les bassins de vie et d’activités correspondent aux territoires des MRC. Leur nombre pourra être réduit suite à une révision de leurs délimitations sur la base du seuil de la masse critique jugée nécessaire pour assurer le plus haut niveau d’autonomie de proximité de ces collectivités territoriales (qui peut être établi entre 15 et 20 000 habitants). Il y a présentement 5 MRC de moins de 10 000 hab. (pop. totale 28 800) et 58 MRC de 10 000 à 49 999 hab. (pop. totale 1 497 594). Rappelons que le Québec compte un total de 1 110 municipalités locales regroupées en 87 MRC.
[2] Quelques MRC ne sont pas polarisées par un chef-lieu urbain, telle la MRC de Bellechasse.
[3] Deux types d’économie qui cohabitent selon des proportions variables sur un territoire et qui animent la vitalité économique de la collectivité.