Pendant longtemps, j’ai eu l’image d’un Québec coloré, lié, fort, tricoté serré. Un Québec où le « nous » primait sur le « je ». Une image qui s’est imprimée très tôt.

Il y a beaucoup de mon village, de ma MRC d’origine dans cette image. Mes parents, très impliqués, nous traînaient dans toutes leurs activités. À chaque sortie, nous nous retrouvions à faire le pied de grue pendant que nos parents jasaient avec ce monsieur, qui s’inquiétait du drame que vivait untel et qui voulait faire quelque chose pour lui, cette dame, qui s’offusquait de cette décision du conseil municipal. L’air de rien, sans même s’en rendre compte, mes parents nous faisaient appartenir à cette communauté. Nous connaissions ses gens. Ils nous connaissaient en retour.

Dans mon village, je me savais en sécurité. Je savais que où que j’aille, quoi qu’il arrive, il y aurait toujours pas loin quelqu’un que je connaissais, qui m’aiderait en cas de besoin.

Chacun part de sa propre expérience pour se donner une idée du monde. Pour moi, le Québec d’alors était tricoté très serré, coloré, vivant. Les personnes se rencontraient, formaient des mailles, étaient liées les unes aux autres. Et tout ça formait un tissu social qui gardait au chaud, qui bougeait, qui protégeait, qui s’adaptait, qui changeait de forme, qui entourait ceux qui en avaient besoin, qui faisait rebondir ceux qui voulaient aller plus haut.

Cette solidarité, j’ai pu la voir à l’œuvre plus tard 1000 fois au moins, dans mes implications citoyennes comme dans mon travail. Dans les forums jeunesse, qui m’ont permis de découvrir les couleurs chatoyantes de chaque région. À Solidarité rurale, où j’ai pu être l’observatrice privilégiée d’une ruralité tricotée serrée qui se prend en main, qui innove, qui serre les coudes.

Pour mille raisons, je constate que les mailles se sont relâchées au fil du temps. Nous avons aujourd’hui moins de prétexte pour interagir les uns avec les autres. Combien d’interactions humaines ont été supprimées au cours des vingt dernières années? Cette jasette avec la dame à la caisse a été remplacée par une interaction tactile avec le guichet. Ces discussions pour avoir de l’information ont été remplacées par des recherches Google. Or, ces rencontres étaient toutes des occasions d’aller plus loin, que l’on pouvait saisir ou non, pour former des mailles durables.

Mon fil Facebook me ramène ces jours-ci à de mauvais souvenirs. Il y a trois ans, la grande vague de compression frappait de plein fouet plusieurs organisations oeuvrant au développement rural et régional. Derrière les acronymes, il y avait des gens. Il y avait des occasions de rencontres, de former des mailles, de tisser des liens, de s’inspirer des autres. Les coupes budgétaires ont fait mal. La réorganisation qui s’en est suivie, encore plus. Parce que ces coupes auront brisé plusieurs de ces liens qui unissaient les acteurs du développement de nos régions, les auront laissés isolés. Parce qu’elles auront laissé de grands trous dans la couverture collective qui entourait le développement socioéconomique.

Se ré-unir

Trois ans après la réforme, timidement, les liens se recréent ou se créent. Septembre aura été un baume sur la blessure de 2014. D’abord à cause du retour de l’Université rurale québécoise qui avait dû faire une pause en 2015 à cause du contexte d’austérité. Et quelle joie ce fut d’y être invitée, d’y voir les gens s’y retrouver, discuter, se lier ou se relier. Si d’aucun en doutait, la ruralité continue d’innover et la programmation de l’événement constituait en soi un véritable antidote à la morosité ambiante.  Coworking en milieu rural, dynamisation des rangs par l’agriculture, utilisation du numérique en développement culturel, néoruralité, utilisation des technologies en développement… Les ateliers comme les visites terrain auront démontré que malgré les grands vents de changement qui balaient notre société, malgré les ressources manquantes, la force du monde rural réside encore et toujours dans sa capacité à faire autrement. La tenue de l’événement elle-même, avec des ressources réduites, en aura été une démonstration éclatante. Parce qu’à l’instar de Benoit Lorrain-Cayer, l’initiateur de l’événement, partout, des gens prennent le leadership et font autrement. Juste parce qu’il le faut.

Il y a quelques temps, j’écrivais que l’entrepreneur n’était pas une île. Nos territoires ruraux et nos régions ne le sont pas non plus. Ils ne peuvent se priver de l’expertise d’autres territoires, ni de celle de leur voisin, pas plus que de celle présente à Montréal, où ils seront maintenant accueillis dans leur Maison.

Cette Maison des régions, inaugurée en septembre, est une main tendue aux régions. Montréal  offre une foule d’opportunités pour qui veut bien les saisir. Un marché immense pour nos entrepreneurs, une expertise de pointe dans plusieurs domaines, la présence de médias à large portée, une main-d’œuvre spécialisée… Selon les besoins de chaque entrepreneur, de chaque territoire, la Maison propose de mettre en lien les acteurs régionaux avec ceux de Montréal.

Le monde change. La couverture chaude et tissée très serrée de mon enfance est un souvenir réconfortant, certes. Mais elle appartient au passé. La technologie change la donne, l’ère du temps aussi. Notre défi, à nous les ruraux, est, plus que jamais, de tricoter de nouvelles mailles, de nous donner collectivement une nouvelle couverture, différente peut-être, mais qui nous permettra de rebondir pour nous propulser dans ce nouveau millénaire qui s’annonce plutôt froid. Il faut qu’on s’en mêle, et qu’on s’emmêle.

Question de s’en mêler et de s’emmêler comme il faut, je vous invite à joindre le groupe Facebook S’établir en région dont l’objectif est justement de se réseauter et de réunir nos efforts afin de soutenir l’établissement, le rayonnement et les initiatives rurales au Québec. Venez discuter avec nous !

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