La gestion de l’offre se retrouve encore une fois sous le feu des projecteurs, et cette fois, ça chauffe pas mal. Trump, déclare rien de moins qu’une guerre commerciale au Canada. Les observateurs les plus aguerris prévoient des brèches supplémentaires dans la gestion de l’offre (parce que oui, brèches il y a déjà). On verrait mal comment le Canada pourrait ne faire aucune concession. Signe que l’heure est grave, trois chefs de partis se rendent aux bureaux de l’UPA pour chanter les louanges du système et promettre de la défendre fermement…

Et moi, moi… c’est le sujet dont j’ai choisi de traiter lors de ma première Chronique Régions à Radio VM. Je lis les articles, j’épluche les commentaires, j’enfile les entrevues sur le sujet. Et ce que j’y lis me réjouis parfois. Parfois.

Plus rien n’est sacré

Sauf cette entrevue avec Patrick Lagacé peut-être « C’est moins de 2% du PIB et de quoi, moins de 20 000 personnes qui sont touchées par ça. Et là, à cause de ce système de protectorat là,  on a quoi? On a une guerre commerciale avec les États-Unis, on a des tarifs sur l’aluminium et plein d’autres produits québécois… Est-ce que le jeu en vaut la chandelle?   Personnellement, moi je pense que non. »

Sauf aussi plusieurs lettres d’opinion, dont plusieurs qui cherchent à opposer les intérêts des agriculteurs et ceux des consommateurs. Alors que le vrai débat n’est pas là. Les agriculteurs ne décident pas du prix que les consommateurs paient leurs produits. Ils ont un pouvoir d’influence. Mais entre eux et la tablette d’épicerie, il y a un transformateur, un distributeur et un détaillant qui ont aussi leur mot à dire.

Dans le débat public, le doigt pointe l’agriculteur comme le seul responsable du prix de son produit. Alors qu’il ne reçoit que 18% du montant sur chaque fromage que l’on consomme. Le vrai débat n’est pas là. Et même s’il y était, dans une bête question d’argent, il faudrait quand même voir plus loin que le bout de notre nez. Comprendre que tous les pays protègent tous d’une façon ou d’une autre leur agriculture. Que le nôtre continuerait probablement de le faire. La plupart des pays subventionnent massivement l’agriculture, comme les États-Unis par exemple. Et d’où vient l’argent des gouvernements? De la poche des citoyens. Rien ne se perd, rien ne se crée. Concept de base.

Et je m’interroge. Je cherche à mettre le doigt sur le moment où c’est arrivé. C’était peut-être quand Laurent Proulx a obtenu une injonction pour poursuivre son cours d’anthropologie en pleine grève étudiante. Ce jour-là, ce côté sacré qu’on accordait au droit des étudiants à militer pour la gratuité scolaire – parce qu’il y avait avant un consensus tacite parmi nous sur le fait que l’éducation était une vache sacrée, le socle sur lequel se construisait notre société – ce jour-là, on a désacralisé l’éducation. Elle devenait un produit comme les autres. On devait tout bêtement lui établir un juste coût et honorer notre entente avec le consommateur qui n’avait pas eu accès au produit pour lequel il avait payé.  Je ne sais pas quand c’est arrivé. Mais je sais qu’un jour, avoir des vaches sacrées, c’est devenu négatif, associé à l’immobilisme, à une réticence au changement.

Alors un jour, il n’y a plus de vaches sacrées chez nous. Ni l’éducation, ni l’agriculture. Ce jour-là, tout est devenu d’importance égale. Ce jour-là, nous sommes devenus des consommateurs. J’ai toujours été frappée de la sonorité du mot « consommateur ». « Con – sommateur ». C’est plus fort que moi, je vois ce mot de cette façon. Ce con qui somme cet agriculteur, ce gouvernement, ce commerçant, cet artisan, de se plier à toutes ses exigences. « Je veux que les animaux soient bien traités, que l’environnement soit protégé, que ton fromage ait toujours le même goût, que ma garderie assure le plein développement de mon enfant (il doit être Einstein) je veux tout ça et encore plus, mais pour moins cher qu’ailleurs (et surtout, moins cher qu’en Ontario, ceux qui ont vu le débat comprendront). »

S’il faut s’arrêter à ce niveau d’analyse et de débat, nous n’arriverons à rien comme société. C’est avec nos yeux de citoyens qu’il faut regarder ces enjeux.

La sécurité alimentaire

La gestion de l’offre n’est pas parfaite. Elle a ses défauts. Elle est rigide. Elle limite l’innovation. Le prix des quotas limite la reprise d’entreprises non-apparentée. Mais. Mais elle a aussi ses vertus.

La première d’entre elles est certainement de nous assurer un minimum de sécurité alimentaire. Présentement, notre taux d’autosuffisance alimentaire n’est qu’à 55%. Veut-on vraiment mettre quelque chose d’aussi vital que notre garde-manger collectif entre les mains hasardeuses du marché mondial?

Ce n’était pas son but, à l’origine, mais elle est également un vecteur de développement durable. Elle assure une répartition équitable de la richesse parmi les agriculteurs, favorise (sans s’y retreindre) le modèle agricole familial, limite la circulation des produits à l’intérieur du pays et contribue fortement à l’occupation dynamique et à la vitalité du territoire en faisant vivre plusieurs professionnels de l’agriculture, mais également des centaines de commerces, de fournisseurs et de fabricants le tout, sans trop déranger (sauf peut-être l’odorat à quelques reprises dans l’année). À l’heure où tout le monde se demande ce que nous pourrions faire pour stopper le changement climatique, il serait peut-être bon de commencer par se demander ce que l’on pourrait préserver!

Le vrai débat devrait être là au fond, sur ce que l’on souhaite comme société. Mais sommes-nous encore capables de nous élever au-delà de nos individualités? Sommes-nous capables de voir au-delà de l’arbre, la forêt interreliée et interdépendante que nous formons? Sommes-nous encore capables de déceler la réelle valeur des choses au-delà des chiffres, des PIB et des coûts à la consommation dont on nous assomme jusqu’à ce qu’on finisse par croire qu’ils sont la vérité toute puissante?

J’espère que oui. Car s’il fallait sacrifier cette dernière vache sacrée que nous avons à l’hôtel du libre-marché, pour nourrir au fond les ambitions électorales de notre voisin, qui a cruellement besoin du vote de ses agriculteurs, nous accepterions l’air de rien d’abdiquer la dignité la plus élémentaire : celle de se choisir pour se nourrir.

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