Chaque semaine nous apporte une nouvelle décision du gouvernement Couillard dévoilant le démantèlement, pièce par pièce, des politiques et programmes d’appui aux régions mis en place au cours des 30 dernières années. Un démantèlement qui témoigne du désintéressement de ce gouvernement à l’égard des régions intermédiaires et éloignées par rapport aux régions centrales. Ce désintéressement est fondé sur une ignorance et une volonté obstinée de ne pas chercher à comprendre la contribution économique, sociale, culturelle et environnementale des territoires extérieurs aux agglomérations de Montréal et de Québec, à l’essor de la société québécoise dans sa globalité.

La séduction toujours agissante de « Montréal locomotive économique du Québec 

Dans l’équation comptable des finances de l’État, les régions représentent un fardeau. Alors que le rétablissement de l’équilibre budgétaire requiert un resserrement des dépenses publiques, les régions sont ciblées comme territoires à purger. La bonification des investissements publics structurants pour Montréal et Québec doit par ailleurs recevoir toutes les attentions. On renoue ainsi avec la théorie des pôles centraux qui avait inspiré le rapport Higgins, Martin, Raynauld de 1971 dans lequel Montréal est présentée comme « la locomotive économique du Québec dont la performance jaillira sur l’ensemble du Québec par effet d’entraînement ».

Or cette perspective n’a pas survécu à l’épreuve du temps comme l’ont démontré plusieurs études dont celles du groupe de recherche Cirano. Et tout récemment, le 11 novembre dernier, l’Institut du Québec[1] publiait une étude intitulée Montréal: boulet ou locomotive? Concernant la puissance de Montréal et son déploiement pour assurer le dynamisme du reste du Québec, l’étude se fait pour le moins nuancée.

Le constat général remet en question un certain dogme : «Montréal est une puissante locomotive, mais elle sous-performe au détriment de tout le Québec. » (…) « Si l’importance de Montréal demeure indéniable pour l’économie du Québec, sa contribution est toutefois en baisse depuis 15 ans » souligne l’étude. « La comparaison de Montréal avec d’autres grandes villes n’est pas plus reluisante. Elle traîne de la patte quand on la compare à ses homologues du reste du pays. (…) Avec 48.9 % de la population du Québec et 53 % du PIB de la province, la région de Montréal joue un rôle central et incontournable dans l’économie québécoise.» Toutefois, «considérant que la performance économique de Montréal a été généralement inférieure à celle des autres grandes villes du Canada au cours des dernières années, la métropole n’a pas donné sa pleine contribution à l’économie du reste du Québec», tranche l’Institut du Québec. De 1987 à 20013, la croissance annuelle de l’économie montréalaise n’a été que de 1 % en moyenne.

Dans un tel contexte, « la prospérité des régions ne peut être essentiellement attribuable à celle de la région de Montréal » souligne Joëlle Noreau, économiste au mouvement Desjardins.

Le tout-économique obscurcit l’analyse régionale

La poursuite obsessionnelle du déficit 0 conduit à la doctrine du tout-économique comme conduite des affaires de l’État : « si l’économie va, tout va ». Alors que le Québec cherche sa voie face à la radicalisation religieuse, il adopte un mode de gestion qui s’apparente à de l’intégrisme économique : prépondérance accordée aux dogmes économiques, dépendance des régions aux pôles centraux, arrogance et mépris envers les régions considérées comme appartenant à une époque révolue, déclin des territoires perçu comme un processus dans l’ordre des choses, suppression des organismes et outils de développement régional, refus de dialogue et de concertation du pouvoir central avec les instances locales et régionales.

Le critère de la performance économique subjugue désormais tous les autres paramètres qui définissent la nature et la contribution des régions à l’épanouissement du Québec dans sa globalité : identité culturelle régionale, héritage historique, usages et coutumes qui façonnent les paysages et les cadres de vie, façons d’occuper le territoire qui enrichissent notre société tout en offrant des lieux alternatifs à la ville, etc.

Le 4 novembre dernier, le ministre des Affaires municipales et de l’occupation du territoire, aussi responsable du développement régional et de la ruralité, monsieur Pierre Moreau, annonçait l’abolition des CRÉ et des CLD, la mission de ces derniers étant désormais confiée aux MRC avec des budgets réduits de 55%. Dans la foulée de ces coupures, il amputait de 300 M$ les transferts aux municipalités, retirait le financement accordé à Solidarité rurale (instance conseil auprès du gouvernement en matière de ruralité) signifiant du coup sa mise à mort, abandonnait la Politique nationale de la ruralité en vigueur depuis 2001 et remettait en cause les Carrefours Jeunesse-Emploi.

À ce train de mesures, s’ajoutent les coupures et les réaménagements dans les structures scolaires et des services sociaux et de santé dont les premiers effets seront d’éloigner la prise de décision et l’offre de services des citoyens.

Ces décisions ont été prises précipitamment, sans consultation ni étude d’impact, dans le cadre d’un ensemble de mesures visant à assurer le redressement des finances de l’État et le retour à l’équilibre budgétaire, tel qu’allait le confirmer le projet de loi 28 déposé le 26 novembre 2014 et discuté en commission parlementaire du 23 janvier au 11 février. Avant même d’avoir en main les résultats de l’évaluation de ces programmes et organismes, on décidait de couper et d’abolir.

Brutalement démunies de leurs outils et expertise de développement, les régions se sentent trahies, abandonnées. Elles n’ont plus aucun défenseur à l’Assemblée nationale. Le gouvernement leur tourne le dos et se laisse séduire par le mirage des pôles de croissance réactualisé par certains lobbies d’affaires.

Fermeture des villages en difficulté et délocalisation des populations vers les villes

Les discours à l’égard des régions, les solutions préconisées et les stratégies mises en œuvre s’emballent dans un délire qui étonne et qui choque.

Dans un mémoire présenté jeudi le 29 janvier en Commission parlementaire sur le développement durable, le président du Conseil du patronat du Québec, Monsieur Yves-Thomas Dorval, a invité «le gouvernement à réallouer une partie des budgets actuellement consacrés au maintien des municipalités dévitalisées vers des mesures facilitant la relocalisation des ménages qui y habitent.» Pour le CPQ, il faut encourager les citoyens à quitter les régions pauvres pour s’établir là où il y a de l’emploi, dans les grandes villes.

Cette déclaration tombait dans un terreau réceptif à de telles prises de position car quelques jours plus tard, soit le 2 février, le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (aussi responsable des régions et de la ruralité), Pierre Moreau, annonçait que son gouvernement ne renouvellerait pas le Plan d’action en appui aux municipalités dévitalisées (152). Mis en vigueur depuis 2006, ce Plan doté d’une enveloppe budgétaire de 55 M$, avait pour but d’appuyer les municipalités dévitalisées qui, malgré leurs efforts, ont besoin d’un soutien supplémentaire pour créer les conditions propices à leur développement économique. Ce programme aura permis jusqu’à présent de conclure 62 contrats de diversification et de développement entre les collectivités et l’État.

Entendre de tels discours au Québec en 2015, nous ramène aux jours les plus sombres du BAEQ alors qu’on avait envisagé la fermeture de 83 villages en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent du fait qu’on jugeait que ces communautés ne pouvaient souscrire aux impératifs de performance de la société moderne. Malgré les vives oppositions qui ont donné lieu aux Opérations Dignité, 13 villages ont été fermés par décret et par la force (maisons et bâtiments de fermes démolis, récoltes détruites…), et les populations ont été déménagées vers des municipalités côtières. Puis en 1995, les déclarations incendiaires du président de la Banque nationale, André Bérard: «Si les habitants ne parviennent pas à se prendre en main et à trouver d’autres activités que du travail saisonnier, fermons les régions», avait-il dit.

La politique de la « terre brulée » serait-elle une option toujours vivante dans l’esprit de certains décideurs et lobbies ? Ces déplorables propos et décisions évoquent à notre esprit les tristes images de la Roumanie des années 60 devenue un symbole de la délocalisation planifiée des populations paysannes vers les villes industrielles.

La prospérité économique et sociale du Québec se construit aussi avec les régions

Les territoires en dehors des grands centres ne sont pas que des réserves de ressources. L’expression « régions ressources » occulte une réalité dynamique faite de communautés à part entière qui occupent et aménagent le territoire, qui vivent, qui élèvent des familles, qui travaillent, qui créent, qui produisent, qui enrichissent la vie économique et culturelle du Québec.

Depuis son arrivée au pouvoir, le parti libéral de Philippe Couillard a démontré bien peu de sensibilité à l’égard des régions. Les récentes abolitions et coupures dans les organismes et les budgets affectés au développement local et régional vont dans le sens d’une confirmation de cette insensibilité, voire d’un réel désintéressement.

La Commission parlementaire en cours sur le projet de loi 28 qui porte sur la fiscalité locale et la gouvernance régionale et locale sera l’occasion pour le gouvernement de montrer là où il se situe par rapport aux régions. Désengagement progressif de l’État envers les régions avec centralisation des décisions et tutelle gouvernementale sur les instances locales et régionales; ou reconnaissance de l’apport substantiel des régions à l’épanouissement économique, social et culturel du Québec, appuis reconduits et bonifiés aux efforts de développement local et régional et attribution de compétences et de moyens appropriés pour l’instauration d’une véritable gouvernance de proximité fondée sur l’autonomie des collectivités territoriales ?

Une véritable politique de développement régional consentira les responsabilités et les moyens adéquats aux instances territoriales, dans un rapport de dialogue et de concertation, pour accroître l’attractivité et la compétitivité des territoires. Ainsi émergeront des initiatives de développement, la structure économique se diversifiera, la qualité de vie s’améliorera et un projet régional durable s’établira.

Au sein des municipalités et des MRC, des villes et des milieux ruraux, qui ont acquis beaucoup de maturité et d’expertise au cours des dernières décennies en matière d’aménagement et de développement du territoire, les attentes sont grandes pour une ouverture du ministre Moreau au sujet de l’autonomie locale et de la gouvernance de proximité. Et si l’appareil gouvernemental fait obstacle, l’autorité du ministre devra s’affirmer.

[1] L’Institut du Québec, qui est né d’une initiative du Conference Board et de HEC Montréal, réunit des chercheurs sous la présidence de Raymond Bachand, ancien ministre des Finances du Québec.