Des coupures lourdes de sens
Un des premiers gestes du gouvernement Libéral élu en avril dernier a été de supprimer le mot région du nom du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT). Il ne s’agissait pas que d’une simple épuration terminologique. L’abolition ou l’affaiblissement des organismes de développement régional (Centres locaux de développement, Conférences régionales des élus, Carrefour jeunesse-emploi, Solidarité rurale…) annoncés dans le Pacte fiscal Québec – Municipalité 2015 dévoilé le 5 novembre, sont révélateurs de l’intérêt que porte ce gouvernement à l’égard des régions et de la compréhension qu’il a des processus de développement territorial en dehors des grands centres.
Cohérence et structures
Le Premier ministre et le ministre des Affaires municipales et de l’occupation du territoire, Pierre Moreau, clament que plus de cohérence doit être introduite dans l’action régionale et que les structures en place ne font pas foi des résultats attendus. Va pour le principe. Mais les coupures annoncées dans les structures, les réaménagements proposés, les compressions dans les budgets d’opération, la perte d’expertise en développement local et régional et dans le support à l’entreprenariat, sont-ils de nature à injecter cette cohérence et à maintenir le niveau de performance de l’action publique jugée nécessaire au développement des régions ? L’expression « Jeter le bébé avec l’eau du bain » ne peut être employée avec plus de pertinence. L’obsession de l’équilibre budgétaire génère précipitation et improvisation et explique ce grand démantèlement plus que tout autre motif.
Il faut se réjouir du rôle accru des MRC en matière de développement économique local que vient concrétiser le transfert de cette compétence des CLD vers l’instance supralocale que constitue la MRC. Mais en réduisant de 72 à 32 M$ les budgets dont disposeront les MRC pour l’exercice de cette mission, le MAMOT réduit d’autant leur capacité d’agir en ce domaine. Des centaines d’emplois en régions et une expertise précieuse sont ainsi sacrifiées, comme si la situation économique actuelle du Québec pouvait se permettre un tel luxe. En matière de décentralisation, les transferts de compétences doivent être accompagnés des budgets correspondants, non servir de prétexte à des coupures. Par ailleurs, le Pacte fiscal 2015, fait une ponction de 300 M$ au budget des municipalités.
L’équation est simple : une réduction des services en support au développement ou une augmentation des taxes foncières locales pour compenser le déficit généré par les coupures. C’est la formule bien connue du « pelletage de factures dans la cour des municipalités » et à laquelle on a recours comme simulacre de la décentralisation depuis la réforme Ryan de 1992 (autre ministre Libéral des Affaires municipales). Les menaces du Premier ministre aux municipalités contre toute hausse de la taxe foncière ne parviennent pas à cacher l’odieux de l’opération.
Abolition des CRÉ et nouvelle Table régionale des préfets
Les modalités de fonctionnement et le financement des Tables régionales des préfets qui viendront remplacer les Conférences régionales des élus (CRÉ) ne sont pas encore connues. Ce palier régional de dialogue, de concertation et de planification dans l’architecture des pouvoirs décentralisés interpelle les MRC (palier supramunicipal), mais exerce des responsabilités de coordination et de prise de décision qui requièrent une vision régionale et une indépendance que seule une organisation permanente dotée de ressources adéquates permet d’assurer. Telles que les choses s’annoncent, considérant les orientations du Pacte fiscal et les moyens désormais mis à la disposition de la gouvernance des régions, il est fort à craindre que les missions que pilotaient les CRÉ ne puissent être assumées par les MRC réunies autour des tables régionales des préfets avec autant de diversité, d’ampleur et de retombées. Ici encore, cette réorganisation se traduira par un déficit d’appui aux régions.
Solidarité rurale répudiée comme instance-conseil auprès du gouvernement
Dans la foulée de la nouvelle gouvernance des régions, le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, a annoncé aux représentants de Solidarité rurale qu’il retirait le mandat d’instance-conseil de l’organisme en matière de ruralité auprès du gouvernement, tout en réduisant son budget d’un peu plus de 1 M$ à 250 000.$. « Le gouvernement ne veut pas avoir à traiter avec des groupes de pression. Il souhaite purifier les relations qu’il entretient avec le milieu, et discuter avec des gens neutres et objectifs » déclarait en colère Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale, en entrevue au journal la Terre. Les 750 000 $ récupérés par le ministère des Affaires municipales, responsable de la ruralité, demeureraient disponibles pour des études et des avis sur les questions rurales.
Le ministre choisira, dans l’avenir, de recourir aux services de chercheurs universitaires pour obtenir des avis « neutres et objectifs ». On peut se demander ce que le ministre entend par les qualificatifs de « neutre » et « objectif ». Imposera-t-il un bâillon à la critique du monde scientifique comme c’est la pratique au fédéral et comme le fait le ministre Barrette au sein de l’administration régionale de la santé et des services sociaux?
La dénonciation de l’abolition d’organismes de développement en régions signée par une quarantaine de chercheurs universitaires œuvrant dans le domaine du développement local et régional paru dans Le Devoir du 5 novembre (http://www.ledevoir.com/politique/quebec/422920/developpement-regional-agences-cre-cld-des-joueurs-de-premier-plan), mes textes personnels des derniers jours diffusés sur le blogue Néorurale.ca, sur Facebook et dans le quotidien Le Soleil, ainsi que mon ouvrage en deux tomes La passion du rural. Quarante ans d’écrits, de paroles et d’actions pour que vive le Québec rural (près de 1 400 pages, publié récemment en version numérique libre de droit sur http://www.ruralite.qc.ca/fr/Enjeux/La-passion-du-rural) et mes observations et commentaires sur mon compte Twitter (@bernardvachon1), devraient lui rappeler que l’esprit critique est indissociable de la démarche scientifique*.
Le rôle des régions et leur dynamique de croissance.
L’immense territoire du Québec est une mosaïque de régions aux caractéristiques distinctes. Chacune contribue à leur manière à l’identité, à l’affirmation et à l’épanouissement économique, social et culturel de la société globale. Les handicaps de certaines d’entre elles, d’ordre géographique ou autre, appellent à des aides par souci d’égalité des territoires et de justice sociale.
Les structures mises en place et les dispositifs élaborés au cours des dernières décennies pour contrer les disparités régionales, sont des acquis précieux qui doivent être considérés comme des investissements, et à ce titre, comme des alliés aux efforts de redressement des finances publiques, non comme des obstacles.
La dévitalisation des régions est un recul de société aux conséquences économiques, sociales et financières lourdes à porter pour l’État. Dans l’opération de révision des programmes gouvernementaux en cours, l’approche comptable doit faire place à une vision de développement supportée par une approche territoriale dont les organismes locaux et régionaux ont su forger les clés. Abolir ces organismes et leur expertise c’est porter atteinte grave à la volonté et à la capacité d’agir des milieux.
* En septembre 2012, je recevais le Mérite de la recherche, décerné par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire dans le cadre de la cérémonie des Grands prix de la ruralité tenue au Salon rouge de l’Assemblée nationale.