J’ai encore réussi à faire d’un rendez-vous banal chez le dentiste, une occasion unique pour détruire des préjugés et faire pleins de malaises.

Je ne me rappelais pas qu’on nous demandait si on prenait des médicaments régulièrement chez le dentiste. Mais en y pensant bien, cela va de soi, certains peuvent avoir un impact sur notre santé et le dentiste doit le savoir.

Alors, lorsque l’hygiéniste me demande : « Prenez-vous des médicaments de façon régulière, si oui, lesquels et pourquoi ? »

Oh god.

« Je prends du Welmachin. Pour mon épuisement. »

Je m’en sors bien, jusque-là.

Quand le dentiste entre dans le bureau et lit ma fiche, il m’interroge : « Hummm welmachin, je connais ça. C’est quoi ça déjà ? Un anti-inflammatoire ? »

« Ben non. C’est un antidépresseur » répondis-je.

Je pouvais toucher le malaise dans la salle. Il me semblait être une grosse masse visqueuse qui s’étend, comme dans les films de Ghostbuster. C’était hyper gluant, ça collait sur les murs et ça avait envie de nous sauter dessus.

Et je ne comprenais pas trop ce malaise. Selon les stats, 10% de la population canadienne consomment des antidépresseurs. Les prescriptions sont en hausse partout, pour toutes les tranches d’âges : enfants, adultes, baby-boomers et ainés. J’imagine que ces gens doivent aller chez le dentiste une fois de temps et temps et que selon les proportions… le dentiste a surement dû en rencontrer d’autres que moi !  Me semble que le malaise aurait dû se dissiper un peu plus. Mais non.

Donc, j’ai parlé, pour décoller la glu envahissante. J’aurais pu ne rien dire du tout, parce que ça ne regarde franchement personne, mais je ne suis pas capable de ne pas parler, moi

« Je vis un épuisement, une fatigue immense due à un millier de choses dans ma vie, dont notamment des nuits incomplètes pendant un an avec mon bébé. Ça m’a vraiment mis à terre. Ce médicament m’aide beaucoup, je suis capable de mieux me concentrer et j’ai de l’énergie. Je peux surtout continuer de travailler, ce qui était mon souhait. »

« Ah ouin ? On peut avoir des pilules pour ça ? Je ne savais pas. Mais ils devraient le dire que des antidépresseurs, ça ne sert juste pas à la dépression. Ce n’est pas le fun pour toi de dire ça, ça donne mauvaise impression ! »

Bon, maintenant, je ne donne pas une bonne impression. Super!

« Ben non, en fait, ça ne me dérange pas pantoute. Ce n’est pas tabou chez moi. Ma famille travaille en psycho. Je suis même contente de pouvoir en parler, c’est important de détruire des préjugés, vous ne trouvez pas ? »

« Ahh ben, si tu le prends de même, tant mieux !  »

Ben oui, c’est ça, je le prends exactement de même.

Si j’avais déclaré l’application d’huiles essentielles pour ma fatigue, aurais-je eu pareil jugement? Pas sûre, hein!

De plus en plus d’antidépresseurs

Mais pour revenir aux antidépresseurs : où est la honte ? Pourquoi puis-je dire sans peine que je prends des antibiotiques pour mon amygdalite, des anti-inflammatoires pour mon dos et des pilules pour ma pression, mais pas des antidépresseur pour ne pas déprimer ?

Probablement un peu à cause d’articles comme celui-ci, où tous les experts s’entendent pour dire que non seulement il y a trop de prescriptions d’antidépresseurs, mais que c’est la voie facile à prendre. Ce serait une forme de paresse de la part du médecin et/ou du patient qui ingurgite cette « pilule magique » au lieu de vaincre les problèmes à la source en psychothérapie.

Cependant, et paradoxalement, tout le monde s’entend pour dire que le coupable ne serait pas exclusivement en nous, mais plutôt à l’extérieur, dans notre environnement. La société au sens ben ben large dans laquelle on vit serait pointée du doigt. On pense au travail stressant, aux urgences quotidiennes qui n’en sont pas, aux pressions sociales, aux soucis de performance, au succès à tout prix, à l’argent, à l’ascension sociale, etc.

Mais avant de voir s’opérer un changement dans cette société qui nous rend malade, j’ai bien l’impression que l’état des épuisés de ce monde ne s’améliorera pas tout seul.

Et ils seraient supposés faire quoi en attendant, dites-moi ?

Souci de performance, même malade

Vous ne trouvez pas que de les juger paresseux d’utiliser des antidépresseurs pour voir un peu de lumière au bout du tunnel, c’est de rajouter une couche de plus sur la pile des attentes de performance?

Soyez un épuisé performant en refusant la médication ! Ne soyez pas faible, ne prenez pas la voie facile pour vous guérir!

Est-ce quelqu’un a déjà pensé que ces gens souffraient pour de vrai, même si ça ne saigne pas? On ne dirait pas à une personne souffrant de maux de dos chroniques de ne pas prendre de médicaments… Mais à un dépressif, oui, c’est permis.

Je ne trouve pas que les antidépresseurs soient les méchants dans cette histoire. Ce sont des moyens comme tant d’autres pour aider la guérison et leur adoption est un choix personnel et réfléchi.  Comme tout ces autres traitements controversés: l’homéopathie, l’hypnose, l’exorcisme ou l’alignement des chakras. À chacun ses décisions à la lumière de ce qu’il vit et de ce qui lui fait du bien, sous supervision d’un professionnel.

Je pense aussi que les gens qui croient ne jamais voir besoin d’antidépresseurs, qui se vantent de ne pas en consommer ou qui jugent ceux qui le font, ont les deux pieds dans les préjugés sur la santé mentale.

À moins qu’ils me démontrent qu’ils sont capables à eux seuls de guérir tous les problèmes de la société qui causent la maladie. Là, je pourrai faire un effort et revoir ma position.

Si la hausse des prescriptions d’antidépresseurs est un problème de société, cessons de juger les choix personnels des gens et agissons directement pour modifier nos moeurs. Arrêtons de demander du travail pour hier, cessons de se comparer entre nous, révisons nos valeurs  et laissons nos jugements dans le placard.

Sinon, on ne fait qu’aggraver le problème.

Illustration: Yannick Lévesque de Maki Communications graphiques

 

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