À moins d’une nouvelle inattendue qui pourrait permettre un revirement de situation, Solidarité rurale du Québec est sur le point de cesser ses activités. Le 4 novembre dernier le ministre des Affaires municipales et de l’occupation du territoire, M. Pierre Moreau, informait les dirigeants de Solidarité rurale de sa décision de mettre fin au mandat d’instance-conseil de l’organisme en matière de développement rural auprès du gouvernement du Québec. Cette décision avait comme conséquence directe de priver l’organisme d’un financement correspondant à 75% de son budget d’opération (750 000$ sur un total d’un million$). Le 27 novembre, le conseil d’administration de Solidarité rurale annonçait que les neuf employés seraient mis à pied et que le bureau fermerait ses portes de façon définitive le 9 décembre.

Le 2 décembre, le conseil d’administration convoquait une assemblée générale extraordinaire pour mercredi 10 décembre à la Salle Félix-Leclerc, 1001 rang Saint-Malo à Trois-Rivières. L’objectif était de « mesurer les impacts des décisions gouvernementales et discuter de l’avenir de la coalition. » Les membres et partenaires de Solidarité rural pourront-ils sauver in extremis cette institution ?

Après la construction, la déconstruction

Les marteaux sont suspendus. Le chantier de la nouvelle ruralité entrepris au lendemain des États généraux du monde rural de 1991 pourrait bientôt être à l’arrêt. Depuis le 4 novembre, des décisions prises en haut lieu sabordent les organismes et les outils dédiés au développement local et régional. Les ouvriers sont mis à pied sans remerciements. Ce véritable saccage s’attaque à l’œuvre de 25 ans d’innovation, d’implication professionnelle et citoyenne, de compétences investies, d’efforts soutenus, d’espoir et de générosité porteurs de projets.

Pour le Conseil du Trésor et le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire en quête d’économies pour équilibrer le budget de l’État, le Québec des régions et les territoires ruraux deviennent des cibles désignées. Formés au modèle et à la culture des métropoles et du grand capital, les ministres-économistes du Trésor, secondés par leurs dévoués ministres sectoriels, n’ont aucune hésitation à sabrer dans les régions car ils ne saisissent pas leur contribution à l’ensemble de la société québécoise, ni ne comprennent leurs processus de développement et n’ont pas à faire face ici à de puissants lobbys.

C’est donc impunément que le budget d’opération de Solidarité rurale est retiré, conduisant à la fermeture de cette institution, que la Politique nationale de la ruralité est balancée avec désinvolture, que les CLD et les CRÉ sont abolis, et affaiblis les Carrefours jeunesse-emploi. À ces abolitions et coupures de budgets, s’ajoutent les réformes dans les réseaux de l’éducation et de la santé, marquées par la création d’hyper structures et une plus grande centralisation des services et des soins qui remettent en cause le principe de proximité.

On se réjouit dans les officines gouvernementales des gains économiques de cette stratégie courtermiste,  insouciants des conséquences à moyen et long termes qui se solderont par une facture beaucoup plus élevée que les économies grappillées dans cette opération de déconstruction.

Le parcours récent du Québec rural

Alors que ce 9 décembre 2014 marquera la fermeture officielle de Solidarité rurale et l’abandon de la Politique nationale de la ruralité par le gouvernement de Philippe Couillard, rappelons quelques étapes majeures qui ont jalonné le parcours récent du Québec rural.

  1. Les États généraux du monde rural

En 1990-91, le Québec rural se donna un temps de réflexion pour penser sa condition. Au terme d’une année intense d’études, de regards rétrospectifs et prospectifs, de partage de constats déprimants et de voies lumineuses, de rencontres et de débats, 1200 personnes, hommes et femmes, représentant les forces vives de tous les domaines d’activité de la ruralité québécoise, se sont réunies à Montréal pour les États généraux du monde rural.

Véritable Big Bang qui allait sortir le Québec rural d’une longue léthargie et l’amener sur la voie du renouveau, tant démographique que social et économique, cet événement introduisit le monde rural du Québec dans une nouvelle ère.

Voici la Déclaration du monde rural adoptée en conclusion des États généraux que des centaines, des milliers de personnes allaient porter dans leurs milieux comme la source d’énergie des changements à promouvoir et à accomplir.

La Déclaration du monde rural

Les États généraux du monde rural, réunis à Montréal les 3, 4 et 5 février 1991 :

  • Conscients de leurs responsabilités face aux Québécoises et Québécois;
  • Convaincus que le monde rural est actuellement confronté à une grave crise structurelle dans tous les secteurs de l’activité humaine et naturelle;
  • Décidés à prendre en main le développement général et particulier du milieu rural;
  • Prêts à vivre en solidarité d’action dans chacune des régions et entre elles;
  • Assurés de parler au nom de l’intérêt particulier et général des citoyennes et citoyens du milieu rural;

s’engagent solennellement :

  • À tout mettre en œuvre dans leur domaine d’intervention respectif pour favoriser la concrétisation du modèle de développement rural tel que défini par l’exercice des États généraux;
  • À respecter les éléments spécifiques qui ont été dégagés et qui sont à la base de l’édification de la nouvelle ruralité. Ces éléments sont les suivants :
  • la valorisation de la personne ;
  • la prise en charge, par le milieu, de son avenir ;
  • le respect et la promotion des valeurs régionales et locales ;
  • la concertation des partenaires locaux et régionaux ;
  • la diversification de la base économique régionale ;
  • la protection et la régénération des ressources ;
  • le rééquilibrage des pouvoirs politiques du haut vers le bas ;
  • la promotion de mesures alternatives pour un développement durable.

Par cet engagement, nous nous rangeons résolument aux côtés de ceux et celles qui travaillent à inventer et à bâtir une nouvelle société rurale et non pas aux côtés de ceux et celles qui considèrent la désertification de l’espace rural comme une fatalité.

Les partenaires des États généraux s’entendent pour créer un Comité de suivi national. Ce comité se rencontrera périodiquement pour statuer sur les moyens dont il faut se doter pour le fonctionnement efficace du suivi aux États généraux.

Le Comité de suivi s’engage à tenir, une fois l’an, une conférence nationale où les partenaires régionaux partageront leur bilan et leurs avenues à développer.

Les partenaires nationaux et régionaux seront appelés à évaluer la possibilité d’arrimer le suivi aux États généraux avec les structures existantes dans les régions.

La Conférence nationale et les structures régionales se réservent le droit d’intervenir publiquement dans tout débat à propos du monde rural.

  1. Solidarité rural du Québec – SRQ

Initiateur et leader des États généraux du monde rural, Jacques Proulx, alors président de l’UPA, fit un succès éclatant de cette grande remise en question pour un nouveau Projet rural. Au cours des 17 années qui ont suivi, il allait animer la transformation de la ruralité québécoise à titre de président-fondateur de Solidarité rurale du Québec.

En juin 1997, Solidarité rurale du Québec a été reconnue comme instance-conseil auprès du gouvernement en matière de ruralité. À ce titre, elle avait les mandats suivants:

  • Promouvoir la ruralité;
  • Fournir des avis au gouvernement sur des questions liées au développement rural;
  • Conseiller et appuyer les milieux ruraux;
  • Mettre en réseau, animer et former les agents de développement rural;
  • Mettre à la disposition des intervenants ruraux un Centre de documentation et de référence sur la ruralité;
  • Participer au Comité des partenaires de la ruralité pour appuyer la mise en œuvre de la Politique nationale de la ruralité.

Solidarité rurale a acquis une crédibilité unanimement partagée, et accompli un tableau de réalisations exceptionnel tant sur le plan économique que social et culturel. Par ses actions, elle a contribué à promouvoir un destin enviable aux communautés rurales, à consolider les liens d’appartenance aux territoires ruraux et à diversifier l’activité économique et l’emploi. Acquise aux mérites de la démocratie participative et de la décentralisation, Solidarité rurale exprimait à l’occasion une voie qui se faisait militante, ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au ministre responsable de la ruralité, M. Pierre Moreau. Son dévouement était tout entier dédié à la reconnaissance et au développement des communautés rurales.

  1. La Politique nationale de la ruralité – PNR

Le 6 décembre 2001, le gouvernement du Québec adoptait la Politique nationale de la ruralité, reconnaissant formellement le monde rural comme un acteur majeur et incontournable dans la construction et la cohésion de la société québécoise moderne.

Aujourd’hui, le Québec rural c’est 1,6 million de personnes, soit 22 % de la population totale, vivant sur près de 80% du territoire habité (lequel représente moins de 5% des 1,5 millions de km2 de la superficie du Québec). Plus de 1000 municipalités sur un total de 1 100 se partagent ce vaste territoire, un très grand nombre d’entre elles ayant moins de 600 habitants.

La Politique nationale de la ruralité, réclamée depuis fort longtemps par le monde rural et les régions, traduisait une volonté politique ferme de s’attaquer aux problèmes structurels des territoires ruraux, d’assurer à ceux-ci un avenir durable et de favoriser l’interdépendance et la complémentarité entre villes et campagnes pour plus d’équilibre et d’harmonie dans l’occupation du territoire et la répartition des moyens de production.

Trois grandes orientations traduisaient le sens et les objectifs de la PNR :

  • stimuler et soutenir le développement durable et la prospérité des collectivités rurales ;
  • assurer la qualité de vie des collectivités rurales et renforcer leur pouvoir d’attraction ;
  • soutenir l’engagement des citoyens et citoyennes au développement de leur communauté et assurer la pérennité du monde rural.

Le principal outil de la PNR était le Pacte rural. Par ce dispositif qui procurait un budget décentralisé aux MRC pour la réalisation de projets à caractère économique ou social, le gouvernement du Québec entendait agir en partenariat avec les leaders des communautés locales et régionales, notamment leurs représentants élus, et convenir d’un engagement conjoint à s’investir et à innover pour bâtir une ruralité prospère et conforme aux attentes des populations rurales et de la société québécoise actuelle.

Outre le Pacte rural, bonifié en Pacte rural+ dans la PNR3 mise en œuvre à compter d’avril 2014, la Politique nationale de la ruralité comportait d’autres dispositifs pour favoriser la recherche, l’expérimentation et l’innovation à travers les multiples fonctions de la ruralité actuelle : laboratoires ruraux, groupes de travail, mesure pour stimuler le développement de produits de spécialité, etc.,

En juin 2010, l’OCDE évaluait très favorablement les politiques rurales québécoises :

« Par ses politiques rurales, le Québec est un exemple pour les décideurs confrontés à des problèmes tels que l’éloignement, la dépendance des collectivités à l’égard des ressources naturelles et le développement des zones rurales. »[1]

L’OCDE a constaté que face au déclin démographique et économique qui menace la viabilité de certaines localités rurales, le Québec a élaboré une approche figurant parmi les plus abouties à l’échelle des pays de l’OCDE, qui cadre avec le nouveau paradigme rural :

« Sans se limiter à des préoccupations sectorielles, la politique rurale provinciale vise l’autonomisation des collectivités et l’occupation du territoire. »

Lors de la Journée de la ruralité 2011[2], le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, Monsieur Laurent Lessard (du gouvernement Libéral de Jean Charest), a présenté le bilan à mi-course de la Politique nationale de la ruralité. Il a rappelé que cette politique visait à assurer le développement et la vitalité des communautés rurales en misant sur leur diversité et leurs particularités. Il a déclaré avec fierté que la Politique nationale de la ruralité était reconnue comme une référence mondiale dans le domaine, soulignant que l’OCDE en avait fait état lors de la publication de son rapport relatif à l’examen de la Politique. Il a de plus déclaré :

« À mi-course de son échéancier, la Politique nationale de la ruralité se bonifie tout en maintenant le cap sur ses objectifs. L’adhésion générale des milieux ruraux à une approche fondée sur la responsabilité partagée, la confiance mutuelle, la souplesse et l’autonomie d’action des MRC donne à chaque territoire rural les moyens d’agir pour l’avenir, la croissance et le développement durable du Québec ».

Le ministre a précisé que :

« …depuis l’entrée en vigueur de la Politique, les 91 MRC visées ont accepté plus de 4 800 projets dans le cadre du Pacte rural, générant des investissements de 662 M $ et le maintien ou la création de 6 784 emplois. (…) … le programme Communautés rurales branchées, doté d’une enveloppe de 24 M $ sur cinq ans, a injecté à ce jour 14 M $ pour brancher 68 000 ménages dans 250 municipalités du Québec, soit un taux de couverture des milieux ruraux de 85 %, en hausse de 15 % par rapport à l’an dernier. » 

  1. Le Plan d’action gouvernemental à l’intention des municipalités dévitalisées

En 2008, le gouvernement Libéral adoptait un ensemble de mesures pour aider les municipalités rurales engagées dans un processus de dévitalisation (au nombre de 165) à surmonter leurs handicaps (un dossier défendu par la ministre Nathalie Normandeau du gouvernement libéral de Jean Charest). Les outils mis à la disposition de ces municipalités étaient regroupés en trois catégories, selon la nature des actions qu’elles allaient être amenées à poser pour répondre à leurs besoins.

Deux premiers ensembles de mesures étaient destinés à soutenir l’élaboration d’une vision et d’initiatives concrètes de développement et de diversification économique susceptibles de revitaliser leurs communautés. Un troisième groupe de mesures avait pour objet de leur donner des moyens pour répondre aux exigences requises afin qu’elles puissent améliorer et développer leurs réseaux d’infrastructures et leurs services collectifs de base.

Grâce à ce Plan d’action, plusieurs communautés rurales en difficulté ont pu améliorer leurs conditions de vie, ce que confirment les bilans de mise en œuvre du Plan produits par le ministère des Affaires municipales.

  1. La Stratégie gouvernementale et la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires

Après des années de revendications, le ministre des Affaires municipales, des régions et de l’occupation du territoire, monsieur Laurent Lessard (gouvernement Libéral), dépose en novembre 2011 à l’Assemblée nationale la Stratégie pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, 2011-2016 et le Projet de Loi du même nom en appui à la stratégie gouvernementale (projet de loi no. 34). Le projet de loi est adopté le 5 avril 2012.

Beaucoup d’espoir a été mis dans cette Stratégie et cette Loi par les élus territoriaux et les observateurs de la dynamique territoriale au Québec. Les objectifs énoncés et les orientations de sa mise en œuvre contiennent le potentiel d’un véritable virage en faveur de l’occupation et du développement de tous les territoires du Québec, à travers une approche fondée sur la prise en compte des spécificités locales et régionales et le rôle accrue des instances territoriales dans le processus de prise de décision. Un nouveau cadre législatif qui allait renforcer les actions engagées par la Politique nationale de la ruralité et positionner celle-ci dans le contexte élargi de l’ensemble des territoires occupés du Québec.

Près de trois ans après le dépôt de la Stratégie gouvernementale et deux ans après l’adoption de la Loi, il faut admettre que bien peu d’actions concrètes ont été accomplies. Stratégie et Loi sont demeurées des outils de développement qui n’ont pas connu la mise en œuvre attendue, faute de vision et de volonté politique. 

  1. Forte implication de la recherche universitaire

Tout au long de ce processus de mutation de la ruralité et de la mise en place du cadre structurel et législatif, le milieu universitaire a apporté une contribution très engagée. Celle-ci s’est manifestée de plusieurs façons : approfondissement du champ de connaissance de la ruralité actuelle, élaboration d’argumentaires, programmes de formation universitaire et de terrain, création de chaires et de groupes de recherche, publication d’ouvrages et d’articles, fondation de l’Université rurale québécoise, collaboration avec Solidarité rurale, des ministères, les unions municipales, des MRC et des municipalités locales, organisation de colloques et autres rencontres scientifiques, etc.

Retour à la case départ

Plusieurs de ces pièces mises en place au cours des 25 dernières années dans l’œuvre d’édification de la nouvelle ruralité québécoise sont aujourd’hui retirées par l’action politique, celle-là même qui avait initié et accompagné le chantier du renouveau rural.

Par ces gestes, l’élan engagé, caractérisé par une reconquête et une recomposition des territoires ruraux, est désormais compromis. Les convictions, les efforts, les espoirs investis sont profondément déçus. C’est le constat de l’ignorance et de l’incompréhension qui choque tout autant que la violence de la décision. On prive brutalement les ruraux d’outils de développement et de croissance qui ont fait leur preuve. Le monde rural est courageux, solidaire, généreux et résilient. Cette épreuve que le gouvernement lui inflige aujourd’hui n’a pas sa raison d’être. L’équation des comptes publics ne peut tout justifier.

[1] OCDE ; Examens de l’OCDE des politiques rurales : Québec, Canada. Juin 2010, 348 p.

[2] Mercredi 18 mai 2011, Montréal.

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