Lors d’une chronique précédente, je vous ai parlé brièvement du village de St-Alexis de Matapédia qui, comme de nombreux autres villages d’ailleurs, peine à maintenir les services à sa population. Il fut un temps cependant, pas très lointain, où le village était en pleine effervescence et où tout allait comme s’il n’y aurait jamais de fin à la croissance. Je le sais puisque c’est précisément à cette époque où je commençais à fréquenter ma Belle Gaspésienne. J’aimerais vous raconter cette histoire.

Je me souviens comme si c’était hier de ma première visite. C’était en décembre 1971, j’avais 17 ans, je l’avais rencontrée plus tôt en septembre lors de ma première journée au Cégep de Thetford Mines où nous étudiions tous les deux, elle en techniques infirmières et moi en technologies minérales. Quelques semaines plus tard, elle m’invitait à passer les Fêtes dans sa famille.

Lors de ce périple en train, la première chose qui me frappa alors c’était l’éloignement. J’avais déjà fait deux fois le tour grand tour de la Gaspésie avec mes parents et je savais combien il était parfois pénible et long de suivre cette route alors sinueuse et pas toujours panoramique. Le trajet ferroviaire ne faisait rien pour améliorer l’expérience puisque c’est au terme de 12 longues heures d’arrêts impromptus, de pannes diverses et de courtes avancées que ce train bondé de « fêteux » nous laissa finalement à Matapédia. Mais, à mon grand étonnement, nous n’étions toujours pas à destination.

Oui je me souviens, il faisait un froid de canard et il me semblait que c’était l’endroit où on fabriquait la neige pour toute la province tellement il y en avait. Comme vous pouvez facilement l’imaginer le paysage, dans ces conditions, était féérique; les sapins et les épinettes avaient peine à retenir  cet épais glaçage blanc, les chemins étaient blancs de neige durcie, on avait peine à voir le toit des maisons tellement les bancs de neige étaient imposants. Pas de doute le Père Noël s’en donnerait à cœur joie!

C’est  dans ces circonstances que je fis la connaissance de ce personnage singulier, Monsieur Fernand, qui deviendra officiellement, trois ans plus tard, mon beau-père. Il nous attendait dans le stationnement de la station¹ dans sa Citroën DS21 1969². Homme d’allure austère au premier abord, pince-sans-rire, il avait une canine en or qui lui donnait cet air un peu sinistre. De plus, ma Belle m’avait prévenu que la principale source d’information de son père sur Montréal était le « Allo Police », journal hebdomadaire spécialisé dans l’actualité sordide des crimes et des meurtres de la « grandville ». Comme j’étais Montréalais, je devenais nécessairement suspect et objet de méfiance. Heureusement, les jours qui suivirent eurent tôt fait de dissiper le doute.

Sans plus attendre, nous prenions place dans cette voiture aux lignes étranges, laquelle, apprendrais-je bientôt, faisait partie intégrante de la famille. Monsieur Fernand eut tôt fait de prendre la route en direction de la maison familiale. Habilement, avec un peu de témérité mesurée, notre chauffeur négociait courbes, pentes abruptes et pavages inégaux, même que la voiture semblait construite pour de telles conditions. Chemin faisant, je me disais qu’il était impossible que des gens sensés aient pu un jour décider de gravir ces montagnes escarpées pour aller s’y établir; il devait bien y avoir un brin de folie ou de désespoir derrière tout ça. Je me pose d’ailleurs toujours la question. Au terme de ce périple ascensionnel de plus 10 km nous atteignions enfin l’entrée du village, ce que les gens de la place appellent les Plateaux.

St-Alexis-de-Matapédia était alors un village prospère et dynamique dont la population de quelque 1100 habitants³ s’activait autour de trois grands axes économiques : l’agro-alimentaire (patates, grains, lait, animaux de boucherie), la foresterie (bois de pulpe) et le commerce de détail. Ce dernier segment était particulièrement dominant avec au village-même, une importante ferronerie⁴ régionale (et sa cour à bois), une boulangerie qui desservait les 5 villages environnants, et une « mercerie » laquelle était en fait un important détaillant pour l’habillement complet des hommes, femmes et enfants avec en extra, pour les plus difficiles, un comptoir de commandes Sears.

Se greffaient à cette structure primaire, un ensemble de petits commerces de services dont un hôtel/bar-salon avec service de restauration (et spectacles de danseuses), 2 dépanneurs, une épicerie (Coop) avec poste à essence, deux restaurants, une boutique de tissus, d’articles de couture, de cadeaux et autres bricoles, 3 ateliers de mécanique, un atelier de débosselage et peinture automobile. Pour compléter et rendre le tout harmonieux il y avait l’église et son curé en demeure, la Caisse Pop, l’école primaire pour tous les niveaux et le centre paroissial où avaient lieu noces, bingo, présentation de films et spectacles, et toute autre activité culturelle ou sociale (cercle des fermières, soirées de danse, réunions du 3e âge etc.). Malgré ce portrait des plus positifs le déclin était déjà enclenché. Le village atteignit son apogée démographique en 1961 alors qu’il y avait plus de 1450 habitants³; en l’espace de 10 ans, près de 500 personnes avaient quitté.

M. Fernand se donna une mission de rouler le plus lentement possible sur l’artère principale du village. Je me disais qu’il était particulièrement prudent mais je compris rapidement qu’il s’agissait d’une marque de fierté. En circulant lentement les gens avaient le temps de remarquer que M. Fernand avait avec lui sa belle grande fille en visite et, Dieu le Père, assis à ses côtés, un inconnu, pas pire lui non plus!

À suivre!

¹ Terme emprunté de l’anglais train station; c’est ainsi qu’on désignait la gare ferroviaire;

² Voiture haut de gamme en France dans les années 60 et 70. Le Canada en interdit l’importation en 1972 à cause de certaines déficiences en matière de sécurité qui allaient  à l’encontre de la réglementation canadienne.

³ informations tirées de l’Atlas de l’évolution démographique des municipalités locales et des municipalités régionales de comté du Québec.

⁴ Terme populaire pour désigner une quincaillerie.