En collaboration avec Michel Lessard, historien, professeur retraité de l’UQAM, résident de Lévis.
Sacrifier l’agriculture pour la densification urbaine
Nous apprenions récemment la vente des terres agricoles des sœurs de la Charité dans le secteur de Beauport de la ville de Québec, à la Fondation Jules-Dallaire créée par le promoteur immobilier du même nom, du groupe Cominar. 200 hectares (22 millions de pieds carrés) de terre fertile d’un seul tenant, cultivés depuis des générations et parmi les derniers espaces cultivables dans l’agglomération de Québec. Payé 39 millions$ par la Fondation, ce patrimoine agricole est destiné à un développement domiciliaire de 6500 unités, soient 15 000 à 20 000 de population. « En pratique, c’est quasiment la ville de Charny » fait savoir Michel Dallaire, vice-président de la Fondation.
Ce projet est qualifié de « philanthropique » par le promoteur. La supérieure des Sœurs de la Charité, sœur Carmelle Landry, affirme que sur les 150 M$ de profits que prévoit générer la Fondation Dallaire avec le développement résidentiel, « 50 % iront à cette fondation et 50 % à la nôtre pour les pauvres », précise-t-elle. Voilà de bien nobles motivations à la source de cette transaction que nous ne voulons pas remettre en cause ici d’autant plus que la communauté « n’a jamais eu de demande de personnes intéressées à développer ces terres-là au niveau de l’agriculture » de l’aveu de la sœur supérieure.
Ce qui choque c’est précisément le désintéressement avoué des autorités de la ville de Québec à l’égard de ce précieux patrimoine; le désintéressement et le manque d’imagination pour y maintenir une vocation agricole. Le maire de la capitale nationale, Régis Labeaume, instigateur et promoteur d’un temple du divertissement au coût de 400 M$, n’a porté aucune attention au joyau que représentait cet espace pour une agriculture urbaine associée à des fonctions récréatives, écologiques et pédagogiques. L’administration Labeaume aura raté une occasion exceptionnelle et inespérée de doter la Capitale d’un legs pour les générations futures, un legs qui aurait été exemplatif de l’adhésion du pouvoir local aux principes du développement durable. On aura fait plutôt le choix de la croissance et de la densification urbaines, des briques, du béton et du CO2.
Monsieur Labeaume, l’agriculture urbaine n’est pas une fantaisie de « granolas »
Partout dans les grandes villes en Occident on encourage une agriculture urbaine en moussant notamment les toits verts, les jardins communautaires, les parterres légumiers, les jardinets de fines herbes et les ruches bourdonnantes sur les toits des grands hôtels, les cultures maraîchères en périphérie des espaces bâtis, voire des clapiers et des poulaillers dans les cours arrières des résidences. Des efforts soutenus par une réflexion philosophique et des avancées scientifiques et techniques sont déployés pour favoriser l’intégration de la production agricole au tissu urbain.
L’agriculture urbaine est d’ailleurs une des solutions recommandées par l’ONU pour faire face aux besoins de sécurité alimentaire dans les villes. Cette pratique est déjà valorisée non seulement à New York, Boston, Chicago, Paris, Berlin, Vancouver, Toronto…, mais à Québec et à Montréal. On pense ici aux Fermes Lufa construites sur les toits des immeubles de la métropole et à la production de miel sur les toits du Château Frontenac.
Or les terres des religieuses, véritables poumons verts en pleine ville, réputées pour leurs vertus maraîchères séculaires vont être sacrifiées sur l’autel de l’urbanisation. Des terres rares prêtes à continuer leur fonction de nourrir la population de proximité de fruits et de légumes frais, ce qui n’est pas un négligeable avantage pour une population de plus en plus soucieuse de l’origine et de la qualité des produits qu’elle met sur sa table.
Des sources d’inspiration
Savez-vous Monsieur Labeaume que le Parc Angrignon (97 hectares) de la Ville de Montréal s’est donné pour mission de promouvoir la biodiversité auprès des visiteurs et d’offrir aux citoyens une foule d’activités pour se familiariser avec l’agriculture urbaine et la préservation des milieux naturels. Une ferme avec une variété d’animaux y a même été aménagée en 1990 accueillant chaque année des dizaines de milliers de visiteurs. Des travaux y sont présentement en cours pour un montant de 21 M$. La réouverture est prévue pour 2018. La valeur éducative de la ferme Angrignon est incontestable.
Le Campus des sciences de l’UQAM offre depuis six ans une École d’été en agriculture urbaine à laquelle s’inscrivent 200 personnes qui reçoivent les enseignements de plus de 50 conférenciers et formateurs.
Financement
Si la ville de Québec peut justifier une contribution de 100 à 150M$ pour la construction d’un amphithéâtre de 400M$ dans un montage financier qui réunit des partenaires publics et privés, l’acquisition pour fin agricole des terres des sœurs de la Charité aurait pu adopter un modèle analogue. Et le gouvernement fédéral, qui a tant à se faire pardonner pour son appui inconditionnel à l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta, un des complexes industriels les plus polluants de la planète, aurait sans doute été heureux de s’associer à un projet emblématique du développement durable en milieu urbain.
Des créateurs de talent dans divers domaines de la région de Québec auxquels se serait associée la faculté d’Agriculture et d’Alimentation de l’Université Laval, se seraient fait un point d’honneur de collaborer à l’élaboration d’un concept avant-gardiste d’agriculture urbaine, véritable laboratoire d’une agriculture de proximité, durable, source d’enseignement et centre de transfert technologique en ce domaine. « Les grands échecs de nos sociétés sont des échecs de notre imagination obscurcie par la poursuite de résultats à court terme », répétait Pierre Dansereau, écologiste et humaniste, professeur et chercheur émérite.
Et la CPTAQ ?
Acharnée à protéger des terres zonées agricoles sur les plateaux de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent, bien que désertées par l’agriculture, en friche ou reboisées, la Commission de la protection du territoire agricole saura-t-elle ici sauvegarder, en tout ou en partie, ce véritable et précieux joyau agricole ? Un test à la rigueur et à la cohérence de cet organisme.
J’imagine que Ti’gis répondrait à cet article par: «Icite on est en ville! Y’a plein d’espaces verts partout au Québec, arrêter de m’achaler avec vos salades et que ceux qui aiment ça aillent vivre ailleurs qu’à Québec. Le temps de la Nouvelle-France est bel et bien révolu. La Ville de Québec est entrée dans le 21ème siècle! ». LOL!
C’est scandaleux, aucun plan de société au Québec, vision à court terme. Comment la Protection du territoire agricole laisse passer ce projet de promoteur?
Parce qu’on ne refuse rien à Ti’gis!
Regardez la Rive Sud (toute la Montérégie) et la Rive Nord de Montréal où se concentrent les meilleures terres agricoles du Québec, la trame agricole est comme un fromage gruyère. Sous la pression des conseils municipaux en quête de revenus de taxes foncières et des puissants lobbys promoteurs immobiliers qui continuent à perpétuer des développement urbains à faible densité, la CPTAQ cèdent. Mais elle joue les matamores dans les régions éloignées (plateaux de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent) où plusieurs terres zonées sans potentiel agricole rentable sont désertées par les agriculteurs et retournent à la friches ; d’autres sont reboisées avec l’autorisation du ministère de l’agriculture qui reconnaît leur inaptitude à l’agriculture.
Dans les espaces ruraux des régions éloignées, l’enjeu du développement est souvent lié à l’occupation et à la diversification économique (incluant l’économie résidentielle) étant donné le contexte de dévitalisation des communautés. Or, malgré l’ouverture et les dispositifs de la loi à l’égard de ces préoccupations, la CPTAQ se révèle peu sensible à ces arguments dans les dossiers de demande d’autorisation pour des affectations autres qu’agricole.
Une réforme de la loi, inspirée des recommandations des rapports Ouimet et Pronovost, s’impose de toute urgence. Les ambitions et l’application de cette loi ne doivent pas contrevenir aux objectifs légitimes de revitalisation des communautés rurales en difficulté où l’activité agricole ne peut être retenue et promue comme un levier de développement et de relance. Une réalité que la Politique nationale de la ruralité et la coalition Solidarité rurale du Québec reconnaissaient (deux institutions majeures pour les milieux ruraux que les mesures d’austérité à courte vue du gouvernement Couillard ont sauvagement abolies récemment).
Qui, au gouvernement, s’intéresse et défend l’existence, la pérennité et la contribution des territoires ruraux à l’essor de la société québécoise dans son ensemble ? Le ministre des Affaires municipales et de l’occupation du territoire (MAMOT), Pierre Moreau, témoigne d’une totale indifférence à l’égard des régions éloignées et intermédiaires et des espaces ruraux. Il n’en a que pour les régions métropolitaies. Pourtant, le Québec de demain se fera aussi avec les régions, les petites villes, les villages et les rangs. Monsieur Moreau, vous devriez prendre conscience qu’il y a présentement au Québec un puissant désir de campagne, non seulement pour une agriculture déversifiée et de nouveaux modèles de production, mais pour une ruralité multifonctionnelle confortée par la dématérialisation de plusieurs secteurs d’activités économiques, la montée de nouvelles valeurs, l’éclatement des lieux de travail, le télétravail, l’émergence de nouveaux mode de vie, une complémentarité rurale-urbaine mieux assumée, etc. Les milieux ruaux ne sont pas des territoires en attente d’urbanisation et la modernité n’est pas spécifique à l’urbanité. Les territoires ruraux ont droit à leur juste part des efforts de planification, d’occupation du territoire et de développement. Une politique territoriale pour plus d’équilibre, d’égalité et de justice sociale s’avère impérieuse. Ce qui suppose vision, innovation, volonté et audace.