Je me réveille ce matin le cœur envahi d’une grande tristesse. Le désolant tableau des abolitions et affaiblissements d’organismes de développement local et régional, dont Solidarité rurale, défile dans ma tête. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment de telles décisions ont-elles pu être prises ?

Il a été décidé de démanteler tout cela

Depuis les États généraux du monde rural de 1991, une réflexion humaniste, participative, compétente, généreuse, traite de la ruralité et de sa contribution à l’essor et à l’épanouissement de la société québécoise toute entière. Animé de ces nobles dispositions, un « projet rural » nouveau est né, mobilisant chercheurs, professionnels, élus, bénévoles… aux efforts de son édification.

Une institution, Solidarité rurale, a été crée pour promouvoir le projet. L’État a reconnu le rôle et la contribution du monde rural, une politique spécifique (Politique nationale de la ruralité) et des programmes taillés sur mesure ont été adoptés, des agents de développement (près de 150) ont été formés et embauchés, puis une stratégie gouvernementale et une loi-cadre pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires ont été adoptées à l’Assemblée nationale, le champ de connaissance de la ruralité a donné lieu à des chaires et groupes de recherche universitaires… L’exode a été stoppé en maints endroits. Les territoires ruraux sont redevenus des lieux attractifs, des lieux que l’on choisi pour vivre, travailler, élever une famille, se divertir, fraterniser, participer et décider.

Puis, poursuivant de façon obsessionnelle l’équation idéale des finances de l’État, on a vu qu’il y avait ici quelques économies à réaliser. Sans considération du « Projet » sous-jacent, ni des conséquences que la récupération des maigres budgets en cause allaient entraîner, on a entrepris une œuvre de démantèlement du « Projet rural » qui laisse aujourd’hui orphelin l’ensemble de l’effort consenti et investi depuis 25 ans pour une ruralité forte, fière et moderne.

Des manœuvres insidieuses

Triomphant au milieu de son champ de ruines, le ministre des Affaires municipales et de l’occupation du territoire (et responsable de la ruralité), Pierre Moreau, fidèle lieutenant du Conseil du Trésor, déclare que les missions et mandats de Solidarité rurale, des CLD et des CRÉ seront désormais assumés par les MRC investies de compétences élargies. Du coup, il se glorifie de satisfaire aux demandes de ces instances supramunicipales pour des pouvoirs élargis. Ce qu’il omet de dire c’est que l’attribution des ces nouvelles responsabilités ne sont pas accompagnées des ressources humaines, techniques et financières correspondantes qu’une véritable politique de décentralisation doit assurer. À défaut de ces ressources, les MRC devront exiger une quote part accrue de leurs municipalités locales, entraînant chez elles des augmentations de taxes, ou s’astreindre à réduire les efforts à déployer pour le développement et l’appui à l’entreprenariat. Odieuse manœuvre pour se délester de responsabilités financières dans la cour des municipalités. Mais on sait que depuis la réforme Ryan de 1992, le Parti Libéral est passé maître dans les modalités d’un tel simulacre de décentralisation.

Réorganisation et reconstruction

Dans ce désert de vision, de projets et de convictions qui caractérise le gouvernement Couillard, la preuve est faite que pour avancer, le Québec doit compter, plus que jamais, sur l’implication de la société civile et le dynamisme des forces endogènes des collectivités locales et régionales.

Après le choc et la colère, qui sont loin d’être dissipés, un peu partout on tente de se remobiliser et de se réorganiser pour envisager la reconstruction après le démantèlement. Faisant preuve de détermination et d’imagination, le sauvetage de l’expertise des CLD est entrepris dans plusieurs MRC. Des pièces majeures font toutefois défaut et elles seront difficilement remplaçables, c’est le cas notamment des CRÉ et de sa mission de planification et de concertation à l’échelle régionale.

La disparition de Solidarité rurale créera un vide béant. Les milieux ruraux perdent un allié précieux : une conscience, une voie, un accompagnateur, un défenseur; le promoteur d’une ruralité nouvelle, attractive, compétitive, productive de biens, de services et de milieux de vie. Privées désormais de cette structure nationale et des aides que procuraient la Politique de la ruralité, et disposant de budgets amoindris dans le Fonds de développement territorial, les MRC ne pourront pas poursuivre avec la même énergie et espérer des résultats équivalents dans le cadre de cette « nouvelle gouvernance régionale » qui découle du Pacte fiscal.

Les compressions dans les budgets d’opérations des MRC se traduiront par des efforts réduits à engager dans les missions de développement économique local et d’animation des milieux pour la cohésion sociale et l’émergence de projets.

La méconnaissance des processus de développement territorial et de la contribution des régions et des territoires ruraux à la prospérité et à l’épanouissement du Québec dans sa globalité, conjuguée à une pratique arrogante du pouvoir, aura été à la source de décisions contraires à l’élan en cours pour une reconquête du dynamisme régional et local, un dynamisme porteur de fierté et de pérennité.

Se tenir debout

Mais heureusement, il y aura toujours des hommes et des femmes pour se tenir debout et rappeler le véritable destin d’une société et les chemins pour y parvenir.

Voici une citation qui ne manque pas de nous faire réfléchir alors que la gestion comptable des affaires publiques s’impose à toute autre considération :

La même règle autodestructrice du calcul financier régit tous les aspects de l’existence. Nous détruisons la beauté des campagnes parce que les splendeurs de la nature, n’étant la propriété de personne, n’ont aucune valeur économique. Nous serions capable d’éteindre le soleil et les étoiles parce qu’ils ne rapportent aucun dividende.

John Maynard Keynes

Et cette autre citation particulièrement appropriée dans le contexte des assauts que subit le monde rural aujourd’hui :

Ils ont essayé de nous enterrer. Ils ne savaient pas que nous étions des graines – Proverbe mexicain.

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