En créant le blogue Néorurale.ca, Cassiopée Dubois et ses collaborateurs avaient pour objectif de donner la parole aux néoruraux afin qu’ils expriment leur expérience, leur vision de la ruralité et ce qui les a poussés à s’établir en région.

La question des motifs, qui sont généralement guidés par des convictions personnelles, est sujet d’une attention particulière chez ceux et celles qui étudient le phénomène de la néoruralité. C’est le cas de Myriam Simard qui dirige le Groupe de recherche sur la migration ville/campagne à l’Institut national de la recherche scientifique de l‘Université du Québec. Le cas aussi du Collectif Ville-Campagne en France, sous la direction de Jean-Yves Pineau, qui questionne les raisons à l’origine du choix de vivre en milieu rural : « Parce que chaque histoire de vie est unique, l’installation à la campagne et ses étapes sont différentes d’une personne à l’autre ».

Je vous faisais part, dans une chronique précédente, d’un ouvrage récent de Françoise Perriot qui décrit son expérience de néorurale dans la Drôme en France depuis le début des années 70, et celles de plusieurs de ses amis et connaissances : De la ville à la campagne. Le choix d’une vie, Éditions de La Martinière, 2013. Les premiers chapitres traitent des aspects relatifs aux convictions et aux motivations qui conduisent au choix d’une vie à la campagne.

À travers cette lecture, il est intéressant de constater la convergence des dates du début du mouvement de néoruralité en France et aux Québec d’une part, et des convictions et motivations qui sont invoquées pour expliquer les départs vers une vie rurale, d’autre part. J’ai pensé que cela pourrait vous intéresser. Voici donc quelques extraits de l’ouvrage :

Valeurs et convictions

«  Ce qui nous poussait, mon compagnon et moi, outre nos envies de nature et de simplicité, c’étaient des valeurs auxquelles nous croyions, et auxquelles nous voulions donner forme en les mettant en pratique. Et si je vis encore aujourd’hui dans une vallée de montagne, c’est que les besoins de nature et de simplicité, et les valeurs qui vont de pair, n’avaient rien d’une lubie ni d’une utopie. Ces valeurs qui m’ont guidée sont d’une actualité saisissante et communément invoquées par ceux qui aspirent à devenir ruraux. (…)

Je faisais partie d’un mouvement né à la fin des années 1960 et dont certaines valeurs ne sont pas si éloignées de celles qui aujourd’hui poussent un Français sur quatre à vouloir s’installer à la campagne (la proportion est sensiblement la même au Québec selon les résultats d’un sondage réalisé en 2009). Les protestations de mai 68 et la vague hippie ouvrirent la porte des champs aux premiers retours à la terre de « masse ». (…)

Ces années-là furent également marquées par la prise de conscience de la gravité des problèmes écologiques et le début d’une nouvelle crise économique (premier choc pétrolier de 1973). (…)

Le sens que je voulais donner à ma vie était simplement de mener une existence dans le respect de mes convictions et dans un environnement qui me correspondait le mieux. Je savais que je préférais la nature au béton, les forêts à la foule, les étoiles aux lumières de la cité. La campagne, disons la vie au vert, m’était donc recommandée. (…)

Dans notre rêve d’une vie nouvelle, nous voulions vivre de la terre sans craindre d’avoir à renoncer au confort. (…) Le défi à relever ne manquait pas d’attraits pour les néophytes que nous étions, et les difficultés, loin de nous rebuter, nous stimulaient. Partir vivre à la campagne c’était aussi cela : saisir l’occasion de nous mesurer à nous-mêmes, de développer nos ressources insoupçonnées et découvrir notre potentiel, dont nous ne doutions pas. (…)

Pour réussir son installation à la campagne, hier comme aujourd’hui, il faut au moins un minimum de convictions. (…)

Quel moteur puissant que celui construit par nos rêves. Encore aujourd’hui, et j’espère encore demain, je crois qu’ils valent la peine de prendre des risques. (…)

Il n’y a pas d’âge ni de période idéale pour changer de vie. Les motivations sont sans doute différentes de celles qui ont présidé au retour à la terre des années 70, dans ce sens que la raison guide plus que l’impulsion. Selon des enquêtes, quand ils envisagent de s’installer à la campagne, les citadins se préoccupent d’abord des possibilités d’emploi existantes dans la commune ou ses environs, puis viennent les interrogations sur les services de proximité, les écoles et collèges, les commerces et services publics, et, pour finir, les logements à louer ou à acheter. (…)

Parmi nos amis, certains envisageaient imiter notre décision. Leurs motivations pour changer de vie étaient variées, mais les plus couramment invoquées étaient le travail et les enfants. (…) »

L’insatisfaction au travail

« – Votre vie me fascine. Vos activités au grand air, votre maison sans superflu, votre coordination dans le travail et cette nature pour cadre de vie ! Moi je n’en peux plus. Je suis à bout. Je survis au milieu du stress et des horaires de boulot déments. (…) Je ressens un grand déséquilibre entre mon travail et ma vie personnelle. C’est fondamental de faire au moins la paix avec soi-même, de se sentir entier et d’agir selon et pour nos convictions, (Luc, un ami de l’auteur). (…)

L’insatisfaction au travail accompagnée de stress est une des motivations principales des personnes qui veulent quitter les métropoles. (…)

La campagne est porteuse de l’espoir de réinventer une nouvelle forme de travail.

Pour l’amour de nos enfants

« Pour Céline et Edgar, la principale motivation était d’offrir un meilleur environnement et accorder plus de temps à leur enfant.

– La grande ville est invivable pour une enfant, j’ai toujours peur qu’il lui arrive quelque chose. La violence pénètre dans la cour de l’école primaire et les classes sont surchargées. Sans parler de ce qui se passe en dehors de l’école. Et il y a la pollution. (…) Sans compter le rythme de fou pour l’occuper quand elle n’a pas de classe, jongler avec nos horaires professionnels, faire la course pour l’emmener à son cours de danse, de peinture ou chez les copines… (…)

La campagne c’est mieux pour élever un enfant. Du moins, c’est ce que je crois, et nombreux sont ceux qui abondent dans ce sens. Pouvoir courir, sauter, escalader, grimper aux arbres, taper dans un ballon dès que l’envie lui en prend, seulement en poussant la porte de chez lui, n’est pas neutre pour un enfant qui développe en grande partie son intelligence par le biais d’expériences sensorielles. Quoi de plus stimulant pour l’imagination que les grands espaces naturels, la sensation de vivre sur une terre sauvage avec ruisseaux, bois, collines, sentiers secrets ? (…)

Voir grandir ses enfants au grand air pur, avoir plus de temps à partager avec eux, les nourrir sainement en dépensant moins, sont parmi les raisons qui font que les parents décident de changer de vie. (…)

Globalement, une meilleure qualité de vie

« En quittant les grandes métropoles, mes amis et les autres recherchent tout d’abord une meilleure qualité de vie selon des critères simples :

Plus de temps pour soi et sa famille, moins de stress, d’agressivité et de pollution, une nourriture plus saine, un environnement et un rythme de vie plus proches de la nature, un logement moins onéreux et plus spacieux, une société solidaire.

Les autres motivations entrant en ligne de compte sont selon chacun :

Prendre un nouveau départ dans la vie, retrouver ses racines, rétablir des liens de convivialité, vivre dans une région que l’on aime, être acteur du renouvellement et développement du milieu rural et, pour les militants verts, devenir acteurs de la révolution bio et participer activement à la préservation de la nature, au bon équilibre de la planète. Une autre incitation pour les cas extrêmes et plus rares pourrait compléter la liste : la santé. »

Plusieurs lecteurs de cette chronique reconnaîtront des valeurs et des motivations qui ont été à l’origine de leur propre choix de vivre en milieu rural, d’autres y verront celles qui nourrissent le rêve d’une telle décision.

Le mouvement de néoruralité porte le risque, comme le démontrent certaines études, d’un embourgeoisement de certains lieux, associé notamment au développement de la villégiature et du tourisme, ayant pour conséquence une fracture sociale entre les nouveaux arrivants et la population d’origine. Si cette menace est réelle, il faut la combattre pour atténuer ses effets sur la société locale, le patrimoine bâti, paysagé, culturel…. La néoruralité est cependant un vecteur de retombées positives qui outrepassent largement ce risque. L’ouvrage de Françoise Perriot montre que la diversité des motivations et les valeurs qui les inspirent, sont porteuses de projets de vie qui sont de nature à insuffler une vision, un dynamisme, des préoccupations qui s’avéreront bénéfiques aux communautés locales d’accueil et à l’ensemble de la ruralité désormais reconquise et recomposée.

Chroniqueurs et chroniqueuses, lecteurs et lectrices de ce blogue, je vous invite à nous faire part de vos convictions et motivations qui vous ont entraînés sur le chemin de la néoruralité, ou qui vous en inspire l’ardent désir. La compilation de ces données pourra donner lieu à une chronique qui en détaillera la nature et la diversité.