Alors que j’étais étudiant au cours classique du collège Saint-Laurent (Ville Saint-Laurent, fusionnée à la Ville de Montréal en 2001) sous la gouverne des pères Sainte-Croix, je travaillais l’été, avec mon frère aîné, Jean, chez un fermier de Saint-Vincent-de-Paul (aujourd’hui secteur est de Laval), producteur de pommes de terre.

J’aimais d’autant plus ce travail que l’agriculteur avait une très jolie fille qui nous préparait de grandes jarres de limonade alors que nous nous consumions dans la chaleur empoussiérée d’un hangar de tôle où nous ensachions les patates. La jolie brunette n’était pas insensible à nos parades enjouées et nous le rendait bien. Pour les sorties, la danse, le cinéma, le patinage à l’aréna l’automne venu…, il lui a fallu choisir. Mon frère fut l’élu.

Bientôt, les terres agricoles de Saint-Vincent-de-Paul furent convoitées par les bâtisseurs de banlieues et une fièvre spéculative s’empara des agriculteurs. En moins de deux ans, plus d’une trentaine de fermes contiguës furent vendues et les habitudes de vie se transformèrent profondément.

Ces hommes robustes habitués à se lever tôt et à trimer dur se trouvaient désormais libres et oisifs. Pour occuper le temps, ils se réunissaient chez L., le restaurant du carrefour où, des heures durant, ils jouaient aux cartes. Au cours de ces joyeuses réunions, le gin circulait clandestinement et plusieurs ne faisaient pas qu’y tremper les lèvres. Ce nouveau régime de vie eut tôt fait de conduire plusieurs d’entre eux au cimetière, victimes de crises cardiaques, dont notre producteur de pommes de terre.

Quelques années plus tard, dans le cadre des travaux de mon mémoire de maîtrise (1969-71), je choisirai de traiter de l’étalement urbain et de la spéculation foncière sur la rive sud de Montréal. La municipalité de Candiac sera retenue comme cas spécifique d’analyse. Dans les années 50 et 60, le boom économique et démographique qui suivit la seconde guerre mondiale, conjugué à la généralisation de l’automobile et aux facilités d’emprunts hypothécaires encouragés par le gouvernement canadien pour stimuler l’accès à la propriété privée, provoqua l’éclosion d’un nombre sans précédent de projets domiciliaires au sud et au nord de Montréal à l’origine des villes de banlieue.

Cet étalement urbain à faible densité déferlait sur les meilleures terres agricoles du Québec. En l’absence de toute législation de protection, le grenier du Québec était l’objet d’une véritable braderie, la perspective de croissance urbaine attirant spéculateurs et développeurs d’ici et d’ailleurs. Un sujet d’étude captivant qui n’était pas sans me rappeler le destin de Saint-Vincent-de-Paul!

Ce n’est qu’en décembre 1978 que le gouvernement de René Lévesque, élu deux années précédemment, adopta une loi pour protéger les terres agricole du Québec.

Il m’arrive de penser à ce temps où il s’agissait de traverser le pont Pie IX pour se trouver en pleine campagne.

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