C’est l’été 1972, j’ai 18 ans, je suis étudiant en technologies minérales au Cégep de Thetford Mines. Je me suis trouvé un job au sein d’une équipe d’exploration minière de la société Falconbridge Nickel¹. Nous sommes à cette époque à l’aube du pharaonique développement hydroélectrique de la Baie James. Ce sont les phases préparatoires : conception, planification,  localisations, évaluations, etc.

Nous sommes une équipe de sept travailleurs dont deux géologues, un prospecteur, un cuisinier/homme à tout faire et moi, embauché comme technicien-géologue jr. Les raisons qui justifient notre présence sur ce territoire sont assez simples. La compagnie détient les droits miniers sur une grande portion du territoire qui sera éventuellement inondé; on veut s’assurer qu’aucune richesse minérale bien enfouie dans la croûte terrestre ne deviendra inaccessible sous des dizaines de mètres d’eau. Autrement dit, il serait beaucoup plus « commode » de ne rien trouver.

Notre travail consiste à recueillir des indices et des échantillons de roche afin d’évaluer le potentiel minéralogique de la région. Nous travaillons habituellement en équipe de deux mais comme nous avons accumulé des retards dus au mauvais temps il est décidé que chacun des membres du personnel technique couvrira seul une portion du territoire à explorer. Équipés de cartes topographiques, de photographies aériennes et d’une boussole chacun voit à ne pas commettre d’imprudence et surtout à ne pas se perdre; le GPS n’étant pas encore inventé à cette époque.

« Maudit que je suis bien ». Voilà la réflexion que je me fais, alors que je mange mon lunch, par une belle journée ensoleillée, bien installé sur un affleurement², seul au sommet d’une colline. Le paysage qui s’offre à moi est à couper le souffle. Oui la forêt tout autour mais au loin je vois se découper à la limite de la ligne d’horizon le bleu clair du ciel et le bleu profond du grand lac Caniapiscau sur les rives duquel nous avons notre campement.

Jeune, idéaliste et passionné, je me sens privilégié de pouvoir vivre pareille expérience. Pour vous décrire mon état d’âme, rappelez-vous les paroles que prononce Leonardo DiCaprio (Jack , dans le film) bien campé dans l’ultime espace de la proue du Titanic avec sa belle dans les bras : « I am the king of the world³ ». Je suis seul, mon propre boss, en pleine nature sauvage, à des centaines de kilomètres de toute « civilisation », fier comme un coq d’être le premier homme à fouler ces territoires toujours vierges. Alors que je contemple l’ampleur de « mon territoire » du haut de ma colline, un reflet provenant des herbes hautes dans le bas-côté ne cesse de distraire mon champ de vision. À la fois excédé mais curieux je m’avance pour en identifier la cause : une maudite CANETTE de bière. C’est là où j’ai vraiment, mais vraiment, compris la signification de l’expression revenir sur terre.

 

¹ Cette société n’existe plus aujourd’hui.

² Partie visible de la masse rocheuse souterraine.

³ « Je suis le roi du monde ».