Par Sophie Dowse

Nous arrivions directement de la ville de Québec. Aucune connaissance dans le coin. J’avais 8 ans. C’était dans les années ’80. Avec une mère artiste, qui en terre beauceronne, se traduit par quelqu’un qui ne travaille pas, des parents hippies, des vêtements ou seconde-main, ou directement arrivé de l’Inde, cadeau des amis de tes parents, une Lada rouillée comme voiture familiale, l’intégration n’était pas à 2 portes.

J’ai appris bien des choses durant ces années. Qu’un gazon, ça se tond, partout, sauf chez nous. Qu’un lunch avec une sandwich au pain brun, et de la luzerne dedans, c’est vraiment bizarre. Qu’une pomme ce n’est pas un dessert, et que quelque chose qui ressemble à du lait caillé, pas sucré, dans un thermos, ce n’est pas du yogourt. J’ai appris que mes nouveaux pantalons n’étaient en fait pas nouveaux du tout. «  As-tu de l’eau dans cave Sophie? ». Nous n’avions pas de cave. J’ai fini par comprendre.

C’était bien avant que l’on commence collectivement à reconnaître ce phénomène pour ce que c’est: l’intimidation. « Dans la bouche des enfants réside bien souvent la vérité des parents » disait le rappeur français Kamini. La tyrannie de la normalité se trouve partout, pas juste en région, évidemment. Ce serait mal connaître la nature humaine. Sauf que dans un village où tout le monde se connaît, il est plus difficile de fuir cette sorte d’oppression douce. Elle est dans ta face. Non-stop.

La nature fut mon refuge. Mon amie. Découvrir des têtards dans un trou d’eau. Écouter le son des grenouilles au printemps. Entendre le son de la pluie sur la tôle du poulailler. Dormir dans une tente à côté de la maison, avec mes voisines, mes premières vraies amies, et se lever la nuit, pour manger des petites cerises « pâteuses ». Se faire des labyrinthes dans les framboisiers, en sortir toute égratignée et toute fière. Cueillir des lucioles et les mettre dans les cheveux des amis de mes parents, lors d’une soirée autour d’un feu ( je vous l’ai dit, j’avais des parents hippies,). Jouer dehors tout le temps. Sentir l’odeur de la forêt, des foins. Se laisser hypnotiser par le silence, occupé par le bruit des feuilles dans les arbres.

De la petite citadine douillette que j’étais, toujours en robe, qui paniquait – littéralement, crise de nerfs et tout – quand les moustiques la piquait, j’ai appris à jouer dans la bouette, à me faire taquiner sans pleurer, à me défendre, à me faire des amis, qui sentaient la vache, n’avaient peur de rien, se bêchaient en bicyclette et se relevaient sans broncher. J’ai appris à ne pas reprendre les gens quand ils parlaient ( ok, là je le méritais de me faire remettre à ma place). J’ai appris l’humilité.

Le retour à la terre moyen dans ces années là fut, parait-il, d’environ 5 ans. Une fois revenue en ville, moi qui l’avait tant souhaité, j’ai compris peu à peu ce que j’avais dû laissé derrière moi. Fallait que j’y revienne un jour. Je porte encore très souvent des robes, même en jardinant, et un filet durant toute la saison des moustiques. Je ne tonds pas mon gazon. Je sais maintenant que la normalité ça ne veut pas dire grand chose. J’aime encore la ville. Il y a peu de certitudes dans la vie. La nature en est devenue une pour moi. Je pense finalement que je suis hippie moi aussi.