La Chronique du Prof

Par Bernard Vachon, Ph.D.

Je vous avais annoncé une analyse de la 3e Politique nationale de la ruralité (PNR 3), lancée en grande pompe à l’Assemblée nationale le 5 décembre, qui sera en application pour une période de 10 ans à compter d’avril 2014, dotée d’un budget de 470 M$. Cette politique n’est pas parfaite. mais elle a plusieurs vertus. Veuillez excuser le style un peu professoral dont j’ai du mal à me départir. Mais j’y travaille.

La première vertu de la PNR 3 réside dans son caractère décentralisé, c’est-à-dire que sa mise en œuvre n’est pas confiée aux fonctionnaires d’un ministère localisé à Québec, mais aux élus des MRC. Il y a là une marque de confiance de l’État central envers le pouvoir local qu’il faut saluer. Et localement, les élus administrent le budget des Pactes ruraux (la principale mesure de la politique) en fonction des projets qui émanent du milieu, lesquels reflètent à la fois les besoins et les spécificités des communautés. La mobilisation, le rêve et la créativité font naître des projets à la source du dynamisme renouvelé du monde rural. Je martèle : « Il n’y a pas de territoires sans avenir, il n’y a que des territoires sans projet. »

La deuxième vertu de cette politique découle de la démarche démocratique dont elle est issue et qui la rend si populaire et si près des réalités vécues. Comme pour les deux versions qui l’ont précédée, en 2002 et en 2007, la PNR 3, est le résultat d’une intense phase de consultation réalisée à travers tout le Québec (notamment par la coalition Solidarité rurale) qui a permis de comprendre la diversité des problématiques rurales et les attentes des communautés. Les nombreux avis déposés au MAMROT par les associations municipales et des régions, les commissions scolaires, les CLD et autres organismes, ne sont pas demeurés sans écoute. La PNR n’est pas le produit d’un exercice intellectuel, mais la formulation de mesures d’intervention adaptées aux réalités définies sur la base d’informations recueillies sur le terrain. En corolaire, cette démarche suppose l’application en amont du principe de modulation et l’instauration d’un dialogue interministériel inspiré d’une volonté en faveur d’une gestion de type transversal. Il y a ici des devoirs à faire à l’intérieur de l’appareil gouvernemental.

La troisième vertu tient dans son caractère innovant, c’est-à-dire qu’elle favorise, par diverse mesures, l’expérimentation et le développement d’expertises dans des domaines porteurs pour l’avenir du monde rural. Les Laboratoires ruraux (33) et Groupes de travail (8) de la PNR 2 ont fait un travail remarquable à cet égard, mettant en route des recherches et des projets appliqués inédits et produisant des rapports précieux. Ce caractère innovant de la Politique se trouve renforcé dans la PNR 3 par la création des « Pactes plus » et des mesures spécifiques consacrées à la compilation et à la diffusion des connaissances. Les plans de communication numériques (plateforme numérique d’échanges) seront largement mis à profit. Il importe que tous les acteurs du milieu rural aient accès à ce champ de connaissances et puissent capitaliser sur cette source d’information. Enfin, des outils, sous formes d’indicateurs, seront mis à la disposition de chaque communauté pour mesurer sa vitalité sociale locale et agir pour la stimuler.

La quatrième vertu est liée au choix qui est fait en faveur de l’approche intersectorielle pour plus de synergie et de cohérence entre les partenaires des milieux dans le processus d’élaboration des stratégies et plans de développement des collectivités rurales : « cette politique s’appuie sur la capacité des milieux ruraux à travailler ensemble sur une base intersectorielle ». Une approche déjà appliquée dans plusieurs MRC mais que la PNR3 souhaite voir se généraliser. Le développement territorial requiert une approche globale, non sectorielle (en silo). Pour y arriver, il faut que tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle soient réunis autour d’une même table, se donnent une vision commune et élaborent ensemble le « projet de territoire ». La concertation prend ici tout son sens.

Enfin, une cinquième vertu de la PNR 3 tient dans la reconnaissance du travail des agents de développement rural (AGR). Leur rôle est désormais bien défini et leurs effectifs passent de 136 à 155. La coalition Solidarité rurale assure leur formation et leur encadrement. Ils sont la couroi de transmission entre la politique et le milieu, animateurs, stimulateurs, jardiniers de projets et accompagnateurs des porteurs de projet. Un métier stimulant, mais ô combien exigeant, qui se nourrit de passion.

Deux regrets, deux absences.

J’aurais aimé que la PNR 3 accordât une place explicite à la dimension culturelle du développement rural, comme moteur économique mais aussi comme composante incontournable de l’identité et de la vitalité rurales. Que des mesures spécifiques et inédites aient été introduites pour la protection et la mise en valeur des patrimoines paysager, bâti et immatériel. À défaut de ces provisions dans la Politique, les projets soumis dans le cadre des pactes ruraux et des nouveaux « pactes plus », sauront peut-être démontrer l’importance que les communautés locales accordent à la culture.

Le grand objectif de la PNR 3 est de « fournir au milieu rural les appuis et les moyens pour qu’il puisse continuer à agir afin de rendre les territoires ruraux attractifs au regard de l’emploi et de la qualité de la vie. » À cet égard, on peut regretter l’absence de tout budget d’investissement en matière d’infrastructures et d’équipements, alloué aux MRC dans la formulation de la Politique. Il faut espérer l’ouverture et l’écoute attentive des ministères concernés par la ruralité, et l’instauration progressive d’une administration transversale des territoires ruraux pour que des investissements en ces matières se fassent en réponse aux besoins et requêtes des milieux. Tout compte fait, la réponse ne tient-elle pas dans l’adoption d’une véritable politique de décentralisation, une décentralisation depuis si longtemps attendu et si souvent promise ? Mais c’est là une autre question, un autre dossier qui interpelle un autre ministère.

Dehors, le temps est magnifique. Je vais de ce pas arpenter les sentiers enneigés de la forêt. « On voit le silence quand la neige tombe. »